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 Boygirl [TS/M]
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Meredith Epiolari

Meredith Epiolari

Reine de l'Impro
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Localisation : Between the peanuts and the cage
MessageSujet: Re: Boygirl [TS/M]   Boygirl [TS/M] - Page 3 EmptyMer 30 Jan - 15:45

J'avais dit que je voulais accélérer mon rythme de lecture et ce n'est pas du tout ce que j'ai fait, mais je prends enfin le temps de commenter ton dernier post ! Smile

Je ne sais pas si c'est juste moi, mais j'ai eu l'impression de voir se succéder différents lieux très rapidement et c'était un peu dépaysant, peut-être que ça va un peu trop vite ou qu'il faut mieux marquer les transitions... ?

Ah, enfin, une lettre ! Et quelle lettre ! L'énigme m'intrigue, j'espère ne pas être déçue par sa résolution, c'est toujours le risque quand on pose une énigme ah ah !

Sinon, j'ai bien aimé cette phrase :

Maze a écrit:
Plus je suis lâche plus on s’éloigne. Plus je le regarde prendre des coups plus il me fuit

Ça m'a vaguement rappelé un vers de Bérénice (maintenant que je l'ai retrouvé, je me rends compte que ça n'a pas tellement grand' chose à voir, mais ça m'a fait plaisir de ressentir cet écoulement racinien, alors je le dis quand même Wink ) : « Je l’aime, je le fuis ; Titus m’aime il me quitte ».

Voilà, vivement la suite, j'espère que je serai plus assidue !
Et au passage : félicitations pour la parution de ton recueil, il y a même un exemplaire à la BNF, la classe ! Very Happy
 
Maze

Maze


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MessageSujet: Re: Boygirl [TS/M]   Boygirl [TS/M] - Page 3 EmptyVen 1 Fév - 14:52

Pas de problème, prends tout ton temps !

Je prends note ! J'avais justement quelques passages à rajouter, j'essaie de les mettre là pour mieux indiquer la chronologie.

J'espère que Claire ne le sera pas non plus Smile

ça me donne très envie de lire Bérénice !

Merci beaucoup ! ça me touche vraiment ! Je suis très contente ! Very Happy



C'est une partie un peu plus longue, mais je ne me voyais pas couper ailleurs. Bonne lecture !

Je marche plus rapidement dans la cour depuis que j’ai vomi sur cette fille, Diane. On me parle encore parfois. Je ne mange pas souvent seule, même si j’en ai l’impression. Il n’y a pas de réelle haine envers moi, sauf peut-être de sa part. Ça n’est pas l’important. Beaucoup comprennent. Beaucoup viennent me dire qu’ils trouvent mes cernes noirs jolis.
Le grand tilleul sous lequel Antigone se faisait souvent tabasser étale ses ombres grises sur les graviers. Je me rappelle ces instants de torture où je la voyais entourée d’adolescents, frappée par eux cent fois, mise à terre par leurs coups de pied et de poing. Chaque fois j’avais envie de les en empêcher, de me faire engloutir par leur masse et de recevoir à sa place leur violence. Je résistais. Je regardais seulement. Elle m’avait interdit de prendre sa défense. Elle me disait que ça ne la dérangeait pas. Je crois qu’elle pensait mériter un peu ces coups, et peut-être cela venait-il de l’accident de voiture dont elle ne parlait jamais. Un jour j’avais vu l’un des élèves la pousser brutalement contre le tilleul, j’étais allée prévenir une adulte parce que c’était insupportable. Le soir, quand on s’est vues, elle m’a remerciée. Elle a dit :
« C’était gentil Claire. Ne le fais plus, mais c’était gentil. Je te protège en te demandant de ne pas agir. Je protège d’autres personnes aussi. »
Elle a haussé les épaules avec fatalité.
« Si ça n’était pas moi ça serait quelqu’un d’autre. Moi ça ne me gêne pas. Ne le fais plus, mais c’était gentil. »
Puis elle a esquissé un vrai sourire. J’ai acquiescé et je l’ai embrassée. Ce baiser c’était accepter de me sentir impuissante et responsable de chacun de ses hématomes. Le premier bleu, après tout, c’est peut-être l’un d’eux, le premier dont je me sois sentie réellement coupable. Je regardais. La plupart du temps, dès que je la voyais se faire frapper, j’étais là au loin à regarder, je ne pouvais pas me détacher d’elle. J’avais l’impression qu’elle souffrait parce qu’elle devait souffrir. Mais son sourire avait été un vrai sourire, un qui signifiait que la douleur était minime. Elle était plus forte que les autres ou plus anesthésiée. Antigone m’interdisait aussi de lui parler, de lui faire un signe de la main, d’avoir une attitude permettant aux autres de savoir que nous nous connaissions. Elle voulait me protéger, elle le répétait. Peut-être que ça me détruisait plus que tout ce qu’ils auraient pu faire. Peut-être que c’était pour se protéger elle. Elle ne voulait pas que je me fasse frapper à cause d’elle, mais je l’aurais préféré. C’était une torture.
Sous le tilleul un garçon se fait entourer d’une nuée d’adolescents. La plupart harcelaient Antigone, je le remarque et ça me fait ralentir. Je l’entends encore, « si ça n’était pas moi ça serait quelqu’un d’autre ». J’observe vaguement, tournant la tête vers eux. On ne se connaissait pas au lycée et on s’aimait fort en dehors. C’était douloureux ; notre relation était merveilleuse et douloureuse. Je la respectais trop pour la contredire, pour répondre :
« Boygirl. Je t’aime et je me moque de prendre des coups pour ça. Ils ne comptent pas. Boygirl est-ce que tu as honte de moi ? Boygirl pourquoi tu ne me dis pas ton vrai prénom, pourquoi tu me demandes de t’appeler comme ceux qui te haïssent le font, pourquoi est-ce que tu t’infliges une telle souffrance au quotidien, pourquoi tu ne te rends pas compte que ça me fait souffrir aussi. Pourquoi tu ne me dis rien, jamais, pourquoi je dois tout deviner. »
Boygirl pourquoi est-ce que je ne peux pas t’appeler Antigone comme ceux qui t’aiment et que tu aimes peuvent le faire. Des clameurs s’élèvent de l’essaim d’élèves. L’un d’eux pousse le garçon contre l’arbre. Je m’arrête. Ils se mettent à le frapper. Je fais quelques pas vers eux, regardant autour de moi : d’autres personnes assistent au lynchage mais aucune ne bouge pour l’empêcher. Le garçon se relève et envoie son poing dans la mâchoire de l’autre adolescent, j’ai l’impression de voir Antigone quand je l’imaginais répondre à ses harceleurs. La même grandeur émane de lui. Il se fait renvoyer au sol. Dans un élan insensé, je m’avance mais soudainement Adel accourt, il tremble de rage, il crie :
« Isidore ! »
Mon cœur lâche et je me fige. Isidore. Isidore connaît le premier bleu et le pire parfum, Isidore est le garçon au téléphone qu’Adel aime. Adel repousse les harceleurs et en frappe quelques-uns qui veulent l’écarter. Il prend les mains ou les poignets d’Isidore pour le relever et l’attire en dehors du cercle d’adolescents, je ne parviens pas à saisir tous les mouvements, ils semblent prêts à se jeter sur Adel et Isidore mais ils hésitent. Adel entraîne Isidore un peu plus loin, je ne sais pas s’ils pleurent ou s’ils sourient, et Adel dit quelque chose et ils s’embrassent. Il y a quelques secondes pendant lesquelles tout se précipite : Antigone qui est morte et que je n’ai pas su protéger et aimer Antigone qui me laisse un mot qui n’a aucun sens Antigone que je hais Antigone qui m’a abandonnée et qui m’a aimée d’une manière qui me tuait sans que je m’en rende compte Antigone qui était incroyable Antigone qui se faisait frapper qui faisait l’amour et puis les ruines et puis son cadavre qui me hante, les cauchemars insupportables de réalisme où elle me hurle de ne pas la laisser dans sa tombe et dont j’ignore la cause, tout se précipite dans ma tête peut-être même que deux mains de squelette s’enroulent autour de ma taille et peut-être même que sa voix me dit encore : « Pas là » et le mot pour Isidore qui connaît certainement le pire parfum. Mais tout ça peut attendre parce qu’Adel l’aime, Adel aime Isidore.
J’éclate de rire en posant deux mains sur ma bouche tant je suis heureuse en voyant les deux adolescents s’étreindre.

Je sors tôt des cours et je prends les transports en commun pour me rapprocher le plus possible du petit local de boxe dans lequel Boygirl m’avait emmenée un jour. Je fais toujours ces cauchemars éprouvants, et elle me hante encore. Peut-être que nous rendre dans ce lieu me permettra d’en savoir plus sur le premier bleu. Je suis en train de devenir folle et ça me fait rire. Antigone est morte mais je lui parle et je la vois et je l’entends surtout, je l’entends. « Pas là » et les « a » traînent macabres.
Je continue à pied, le paysage est dévasté par la misère. Les bâtiments sont morts et bétonnés. Quelques graffitis tentent de les ressusciter. Les trottoirs se déroulent inlassablement, cabossés et décolorés. D’imposants nuages gris étouffent le ciel. Il fait frais pour une fin de mois de mai. En arrivant devant le local, j’ai la chair de poule – cependant la température ambiante n’en est peut-être pas entièrement responsable. Je saisis la poignée, qui s’enfonce sous ma main. La porte est lourde mais je parviens à l’ouvrir. Elle claque derrière moi. Je me retrouve dans un petit hall. L’endroit est très calme, assez sombre. L’écho de mes pas vient troubler le silence alors que j’avance dans un couloir aux murs jaune délavé. Je finis par arriver dans les vestiaires. Je pousse la porte de ceux des filles. Je frappe sans savoir pourquoi, alors que je sais qu’il n’y a personne. J’entre. Il y a quelques affaires accrochées aux porte-manteaux ou jetées sur les bancs. Je reste immobile. Nous étions venues ici après qu’elle m’ait montré un peu comment me battre – elle m’avait enseigné deux ou trois coups dans la salle. Je lui avais demandé une fois en sueur pourquoi elle ne frappait pas ceux qui la harcelaient, pourquoi elle ne se défendait pas contre eux alors qu’elle en avait largement les capacités. Elle avait haussé les épaules.
« Je ne boxe plus. Je perdais tout le temps, de toute manière. »
Je n’ai jamais su véritablement interpréter cette phrase. Elle a recommencé à me montrer comment frapper. J’avais bien aimé ce moment et je crois qu’elle aussi. Elle souriait un peu parfois. Retrouver la boxe lui a fait du bien. Elle m’a entraînée vers les vestiaires. On ne se tenait pas la main parce que nos paumes étaient moites. J’étais un peu décoiffée. Elle a ouvert la porte et l’a fermée derrière moi – je l’ai entendue seulement, je regardais la lumière blanche des néons crépiter. Elle a posé le menton sur mon épaule et m’a embrassée sur la joue. Je me suis tournée vers elle en la prenant par la taille. Elle a souri un peu timidement puis aussitôt s’est jetée sur mes lèvres. Je me suis assise sur le banc et elle sur mes genoux. L’austérité du vestiaire que nous illuminions me pesait étrangement – maintenant que j’y suis seule il me paraît atrocement vide. Soudain elle a attrapé ma main qui se baladait sur sa cuisse et s’est figée. J’ai immédiatement arrêté de la toucher. Elle a pressé mes doigts à m’en faire mal, j’ai cru entendre mes phalanges craquer. Elle regardait fixement un peu au-dessus de mes yeux. Seuls les néons grésillaient. Je n’ai pas demandé tout de suite ce qu’il se passait. Très lentement, elle s’est levée. Elle a failli trembler. Je l’ai trouvée très belle, et je le lui ai dit. Alors elle s’est souvenue de ma présence, ses yeux ont croisé les miens, elle a respiré. Elle a dit :
« On sort ? »
Et s’est enfuie. On a quitté le local et on est rentrées. Elle ne m’a touchée à nouveau que le soir. Il y avait deux mètres entre nous pendant le trajet. Je m’en suis voulue longtemps. Je ne savais pas, je ne sais toujours pas, ce que j’ai pu faire qui l’a tant bouleversée.
Une voix grave me hèle.
« Qu’est-ce que tu fais là ? »
Je me retourne. Un homme d’une quarantaine d’années peut-être me dévisage avec méfiance. Derrière lui quelques enfants, des filles et des garçons.
« Tu as fait peur aux gosses. Il faut que tu t’en ailles. »
Je l’observe un instant.
« Vous connaissiez Antigone ? »
Il hoche la tête immédiatement car pour quiconque l’a rencontrée Antigone est une évidence.
« Je pourrais parler d’elle avec vous ? »
À nouveau il acquiesce. Puis il se détourne, c’est une invitation à le suivre. Les filles se précipitent dans le vestiaire que je quitte. Elles m’évitent un peu. La lumière crachote des ombres dédoublées sur le carrelage immaculé – quelque chose cloche et des roses éclosent à l’endroit où Antigone et moi nous sommes embrassées.

Ce matin torturée par la conversation que j’ai eue avec le professeur de boxe d’Antigone, j’ai pour la première fois oublié de fleurir la tombe d’Antigone. Le soir je viens réparer mon erreur, j’achète à la fleuriste les roses habituelles. Elle plaisante maladroitement sur le fait que je suis comme en retard – elle ne sait pas que c’est un rendez-vous au cimetière. Je ne relève pas. Je suis préoccupée. Je suis anéantie même. J’ai l’impression qu’Antigone vient de m’abandonner une deuxième fois.
L’homme m’a confié que ça n’était plus pareil sans son frère.
« Antigone n’avait plus aucune motivation – et c’est compréhensible. Ils ont toujours fonctionné en duo. Ils étaient extrêmement doués à vrai dire, les meilleurs du groupe certainement – pourtant Antigone était bien plus jeune qu’eux ! Son frère la narguait quand elle perdait contre lui et elle jubilait quand elle gagnait, ils étaient sans cesse en compétition. Mais c’était très sain. Ils s’entraidaient, ils se soutenaient. Elle a tout perdu en le perdant. Elle n’avait plus aucune raison de faire de la boxe. »
Il m’a expliqué à quel point ça l’avait déçu, vu le niveau d’Antigone, mais il saisissait. Ce qu’en revanche il comprenait moins était son suicide.
« J’ai appris la nouvelle dans le journal. (ça nous fait un point commun, ai-je pensé) Ça m’a fait un choc. Jamais je n’aurais imaginé qu’elle se tue. Elle était forte, c’est la première chose à laquelle je pense quand on me parle d’elle. Elle ne dévoilait pas souvent ses émotions, surtout les négatives. Je me souviens d’une seule fois où elle a pleuré, sinon jamais. »
J’ai demandé pourquoi elle avait pleuré.
« Oh, une défaite contre son frère. Jamais à cause de la douleur par exemple ! Elle a eu le nez cassé un jour, et elle est restée jusqu’à la fin du cours avant d’aller à l’infirmerie. »
Il m’a avoué qu’il la regrettait vraiment, nous avons échangé encore un peu, je suis partie. J’ai retourné cette conversation dans ma tête pendant des heures et des heures et des jours et des jours. Je n’ai rencontré Antigone qu’après la mort de son frère et j’ai l’impression d’alors ne pas la connaître. Peut-être n’ai-je aimé qu’une Antigone en deuil, une Antigone à demi-morte puisque ce frère l’était. Elle me parlait si peu de l’accident. Son suicide, c’était peut-être pour le rejoindre mais je ne peux avoir aucune certitude. Je ne pensais pas qu’elle ait été si complice avec son frère, puisqu’elle ne me parlait jamais de lui, qu’elle n’évoquait jamais de moments qu’ils auraient pu passer ensemble. Quand on discutait de quelques souvenirs qu’on avait, je n’y trouvais jamais l’adolescent. Son frère est mort en août, elle était en plein deuil, c’est sûrement normal qu’elle ne l’ait jamais évoqué. Ça la faisait trop souffrir. J’ai l’impression qu’elle m’a trahie, pourtant. J’ai un goût terriblement amer dans la bouche. Ce qui m’étonne aussi, c’est mon cauchemar, dans lequel elle hurle qu’elle ne veut pas être là. Pourtant elle voulait mourir, et elle se retrouve à côté de ce frère dont elle était si proche. Ils sont à nouveau réunis. Je ne comprends pas. C’est moi qui projette mes propres désirs sur elle dans mes songes, mais j’aimerais que ça ne soit pas ça. J’aimerais ne pas être folle.
Les roses entre mes doigts semblent se faner plus vite que d’habitude. Elles exhalent un parfum sucré, qui n’est pas le pire. Je me pique légèrement à une épine. Je lève les yeux vers le soleil qui se couche et les quelques méduses qui m’accompagnent. Leur présence est rassurante. Elles flottent au-dessus de ma tête comme des anges. Leurs tentacules irisés filtrent la lumière du soir. Leur manière de se mouvoir est d’une poésie rare sur la terre.
Je pousse le portail qui grince. La tombe de Boygirl est au bout d’une allée. Les fleurs tremblent. Les fleurs tremblent d’aller dépérir sur la sépulture d’une inconnue. Suis-je tombée amoureuse d’Antigone ? N’ai-je pas plutôt aimé une fille sans nom ? À nouveau résonne la question. Je dépasse les croix sur lesquelles des méduses s’embrochent avec mollesse. Je suis seule et humaine et pour une fois lucide, les pieds sur un sol ferme et pas dans l’océan noir, pour aller la voir. L’éclat du soleil me fait penser que c’est un acte terriblement fatal. C’est alors que je les aperçois.
Devant la tombe d’Antigone se tiennent Adel et Isidore. Isidore fixe les fleurs que je tiens dans mes mains, lève ses yeux sur mon visage. Incapables de bouger, nous restons ainsi l’un et l’autre à nous regarder. Mes jambes ne me portent peut-être plus, peut-être dérivons-nous dans ces abysses au fond desquelles gît Antigone décomposée. Peut-être une baleine vient-elle vomir le soleil. Adel se tourne vers moi. Je serre si fort les tiges des deux roses – une blanche une rose – entre mes mains que toutes les épines percent ma paume.
« Claire ? » lâche enfin Adel, brisant le silence, brisant l’inertie.
Je m’approche. Je dépose mes fleurs sur les cadavres de leurs sœurs. Isidore, un peu lointain :
« Je me suis souvent demandé qui tu étais. »
Je me relève. Isidore est à mes côtés. Il connaît le pire parfum. Il sait d’où vient le premier bleu. Je dévisage les deux adolescents. Adel demande pourquoi je suis ici.
« Antigone m’a laissé un mot que je ne comprends pas et que j’ai mis des semaines à trouver, et il y a ton nom dedans Isidore. »
J’ai de la chance de tomber sur lui aujourd'hui, alors même que j’allais abandonner ces recherches ridicules, alors même que je voulais mettre Antigone derrière moi, alors même que j’allais y échouer encore une fois. C’est un miracle.
« Mon nom ? Tu es sûre ? Ça peut être un autre Isidore, honnêtement, parce qu’on ne se parlait jamais. »
Je hausse les épaules. Je sais que c’est lui.
« Et en même temps, tu es venu sur sa tombe aujourd'hui non ? »
Il acquiesce.
« Tous les jours. C’est drôle qu’on ne se soit pas croisés plus tôt. »
Je sors le mot de ma poche et le lui tends. Il le saisit. Il a l’air apeuré et serein à la fois. Je jette un regard à Adel qui me sourit. Je m’inquiète pourtant :
« Ça va aller au lycée ? »
Il répond qu’il ne sait pas vraiment. Je lui assure que je serai là (pas là) pour eux s’ils ont besoin d’aide. Isidore me rend le message, les sourcils froncés.
« Je suis désolé. Je ne comprends pas. Ça ne doit pas être moi. Peut-être son père ? »
À côté de lui se tient Antigone en décomposition et en larmes, mais ça n’est pas un argument valable. Je secoue la tête. Je sens une colère doucereuse monter en moi.
« C’est toi. C’est toi ! Elle parle du « pire parfum » (Adel a pris le papier à ma place et le lit, un peu perplexe), elle parle d’une odeur que vous avez tous les deux senti. L’endroit du premier bleu aussi, là où tu as eu ton premier bleu. »
Il s’excuse encore.
« Mais ça n’a aucun sens. La seule chose qu’on a vécu en commun, c’est le harcèlement. Je veux dire, « le pire parfum », ça n’a rien à voir. Et le premier bleu, ça pourrait être autre chose, vraiment. Même si c’est ça, c’est insensé. Elle ne peut pas le savoir. Elle était déjà morte. »
Je tente de paraître convaincue. Je ne peux pas croire qu’elle m’ait laissé cette phrase pour me rendre folle. Je ne peux pas croire qu’elle se soit suicidée pour me rendre folle. Le sol tangue sous mes pieds, Adel et Isidore tournent autour de moi. Je vacille. Je fonds en larmes. Les deux adolescents me rattrapent. Je suis incapable de tenir sur mes jambes. Incapable de me tenir debout, de tendre un seul de mes muscles. Je murmure en chœur avec Antigone :
« Pas là… »
Sous mes paupières closes je la vois lacérer son visage et me tendre un lambeau de peau sur lequel est écrit : le premier bleu et le pire parfum. Elle plonge.

J’éteins ma lampe de chevet et la lumière orangée qu’elle diffusait cesse d’éclaircir les ombres. Ma chambre entière se retrouve plongée dans le noir comme dans les abysses. Je ne sais plus si mes yeux sont ouverts ou fermés. Je voudrais dormir mais je suis obligée de penser.
J’ai fait une sorte de malaise, je suis revenue à moi rapidement. Ils m’avaient aidée à m’allonger alors que je marmonnais qu’elle me détestait. Quand j’ai eu le courage d’entrouvrir mes paupières à nouveau, ils se tenaient à quelques mètres de moi. Isidore murmurait :
« Je ne veux pas lui donner de faux-espoirs. Ce n’est qu’une impression. C’est peut-être faux. »
J’ai essayé de me redresser, j’ai échoué, ils m’ont rejointe. Je n’avais pas les idées très claires, et je butais sur chaque mot, mais j’ai réussi à leur expliquer la situation. Un banc de poissons hantait une tombe à quelques mètres de moi, décorée de coraux agonisants.
« Je suis désolée. Je suis en train de perdre complètement la raison. J’ai besoin d’avoir une explication à tout ça. Je suis en train de perdre complètement la raison. Il y a une clé à trouver, et peut-être que ça me mènera à une lettre, à quelque chose, à un véritable adieu. J’ai besoin d’un véritable adieu de sa part. Il faut que tu m’aides. Tu es Isidore, tu étais dans sa classe, c’est toi. Il faut qu’on cherche ce que ce mot signifie. Ce que tout ça signifie. Tu es venu la voir ici, tu as envie de savoir pourquoi elle est morte non ? Parce que moi j’ai désespérément besoin de savoir. »
Je me suis arrêtée, Isidore a failli parler, je l’ai coupé sans le faire exprès, parce que les mots brûlaient ma langue :
« Je suis en train de perdre complètement la raison. »
Antigone était assise sur sa tombe quand j’ai levé les yeux, dans cet insupportable ensemble de dentelle, à regarder des poissons scintiller près d’elle. J’ai cligné des yeux pour la chasser. Adel s’est agenouillé devant moi.
« Claire, ça va aller. On va t’aider. On ne va pas te laisser comme ça. »
Nous avons parlé un peu ensuite, je ne sais plus vraiment de quoi. J’ai peut-être confié que j’avais été amoureuse d’Antigone, et son cadavre à l’odeur asphyxiante m’a peut-être enlacée en susurrant : « Tu m’aimes encore, si fort. ». On s’est quittés rapidement j’ai chuchoté alors qu’ils étaient loin :
« Isidore préviens Adel si tu veux te jeter dans la Seine. »
Je pense qu’ils s’inquiètent un peu pour moi. Ils ont probablement raison de le faire. Quelques raies bleues les entouraient durant notre discussion, et quand ils se sont pris la main, des roses ont immédiatement fleuri entre leurs doigts. J’ai jeté un coup d’œil à celles sur la tombe d’Antigone. Elle a simplement souri comme elle sourit maintenant.
« C’est bien que tu cherches la solution, Claire. Je t’aime. »
En chœur avec elle-même. Elle se fond dans les ombres de ma chambre. J’imagine qu’elle s’adosse à nouveau au bureau. Je ne veux ni ne peux me souvenir de ce moment. Pas maintenant. Pas maintenant, la dentelle attendra. Je veux garder ce souvenir comme le dernier. L’ultime fois où Antigone me hantera, elle sera appuyée contre ce bureau, c’est cette image d’elle que je veux conserver. L’Antigone la plus vraie et la plus dévoilée.
Le mot laissé par elle m’obsède. Je pense à l’odeur de cadavre et à l’odeur de la Seine et à l’odeur de roses qui exhalent des relents de haine quand elles ont embaumé l’amour. Quant au premier bleu, ça me semble encore plus difficile. Il pourrait être arrivé n’importe où. Je déteste Antigone de n’avoir laissé qu’un indice sibyllin. Ce mot n’a aucun sens. Isidore lui-même, qui devait savoir, ne sait pas.
 
Meredith Epiolari

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MessageSujet: Re: Boygirl [TS/M]   Boygirl [TS/M] - Page 3 EmptyMer 8 Mai - 15:27

Enfin, j'ai le temps de te lire un peu ! J'avais oublié qu'il y avait une énigme et tout, ça me donne vraiment envie de lire la suite !

Je voudrais adresser une mention spéciale à l'ensemble de ce long passage, parce que j'ai beaucoup apprécié le rythme, c'était très beau et prenant :

Maze a écrit:
Antigone qui est morte et que je n’ai pas su protéger et aimer Antigone qui me laisse un mot qui n’a aucun sens Antigone que je hais Antigone qui m’a abandonnée et qui m’a aimée d’une manière qui me tuait sans que je m’en rende compte Antigone qui était incroyable Antigone qui se faisait frapper qui faisait l’amour et puis les ruines et puis son cadavre qui me hante, les cauchemars insupportables de réalisme où elle me hurle de ne pas la laisser dans sa tombe et dont j’ignore la cause, tout se précipite dans ma tête peut-être même que deux mains de squelette s’enroulent autour de ma taille et peut-être même que sa voix me dit encore : « Pas là » et le mot pour Isidore qui connaît certainement le pire parfum. Mais tout ça peut attendre parce qu’Adel l’aime, Adel aime Isidore.

Et sinon, je ne sais pas si c'est une épiphore ou une répétition involontaire, donc je te signale au cas où la répétition d'Antigone dans cette phrase :

Maze a écrit:
Ce matin torturée par la conversation que j’ai eue avec le professeur de boxe d’Antigone, j’ai pour la première fois oublié de fleurir la tombe d’Antigone.

Voilà, j'espère avoir l'occasion de te lire de nouveau très vite Smile
 
Maze

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MessageSujet: Re: Boygirl [TS/M]   Boygirl [TS/M] - Page 3 EmptyJeu 9 Mai - 17:33

Merci pour la répétition, ça n'était pas fait exprès :') et je suis contente que ce passage t'ait plu, vu que le rythme est très différent du reste ! Very Happy

Voici la suite :

Chapitre 5

Dans les transports en commun un homme me regarde avec une insistance déplaisante, et petit à petit sa main se rapproche de ma cuisse. Il susurre qu’il ne l’a jamais fait avec une asiatique. Je sors à la station suivante et marche pour l’éviter. Antigone à mes côtés me hurle que j’aurais dû le frapper, Antigone à mes côtés pleure et crie et me saisit par le col et me plaque contre un mur. Je la repousse violemment. Elle disparaît avalée par les passants. Mes joues serties de larmes étincellent quand je lève la tête vers l’imposant bâtiment que j’ai heurté.
Comme elle me l’avait promis nous nous étions rendues au théâtre fin novembre. Elle était passée me chercher chez moi, avec sa mère. C’était elle qui conduisait, avec beaucoup d’assurance, comme quelqu’un qui n’a pas eu d’accident de voiture et qui n’en aura jamais. Le trajet avait quelques temps, et finalement nous étions arrivées. Je me tiens près de ces marches que nous avons grimpées, je les grimpe. Antigone spectrale me pourchasse. J’accélère, je cours presque pour me cloîtrer à l’intérieur du bâtiment. Je referme la porte sur elle. À travers la vitre elle me hurle :
« Il fallait le frapper ! Tu sais comment frapper, je t’ai appris comment frapper, pourquoi tu ne l’as pas frappé ? »
Puis son visage se ferme.
« Pourquoi tu viens ici ? Tu veux me perdre ou me retrouver ? »
Je murmure en plantant férocement mon regard dans le sien :
« Je suis à la recherche du premier bleu. En quête du pire parfum. »
Elle a un léger mouvement de recul. Ses yeux fondent dans ses orbites. Je me détourne, dégoûtée. Pour la première fois, je la trouve laide.
Dans l’immense hall du théâtre, je me sens ridicule. Nous ne l’étions pas, pourtant, cet automne. Nous étions resplendissantes. Nous avions toutes les deux fait un effort pour être jolies. Nous savions toutes les deux ce qui allait se passer. Depuis le manège, depuis le premier regard peut-être, nous savions ce qui allait se passer. C’est étonnant d’ailleurs que j’ai pu prévoir tant de choses et pas sa mort. Antigone portait un costume – c’est de là que m’est venue l’idée de lui offrir un nœud-papillon plus tard. J’avais une robe bleue d’été, pour ne pas avoir trop froid j’avais enfilé de hautes chaussettes. Je m’étais aussi maquillée pour l’occasion, un peu de rouge sur ma bouche et mon cœur. Nous savions toutes les deux ce qui allait se passer.
Sa mère nous a laissées pour se rendre dans les coulisses. La pièce ne commençait que dans deux heures. Nous avons cependant eu le droit de nous rendre tout de suite dans les gradins. La salle si vide et si grande et si écarlate m’a fait frissonner d’un subtil vertige quand je suis entrée. La scène était elle aussi encore déserte. Nous nous sommes regardées avec Antigone, elle a ri et bondi sur les planches. Elles ont un peu craqué sous son poids. Elle a posé les mains sur ses hanches, avant de me faire rire. Je ne me souviens plus comment, elle m’a juste fait rire et je l’ai rejointe. Le décor était épuré. Nous étions au milieu. J’étais assortie au théâtre avec ma bouche écarlate. Nous avons parlé certainement, puis j’ai dû dire quelque chose, et elle aussi peut-être, et nous nous sommes enfin embrassées. Depuis le manège, depuis le premier regard. Nous avons salué à la fin de notre baiser des sièges inoccupés. J’ai éclaté de rire encore, et j’ai pris sa main. Nous nous sommes regardées. Elle s’est jetée dans mes bras et y est restée quelques secondes. Ça m’a rendue heureuse.
Nous nous sommes raconté comment nous avions vécu cette période durant laquelle nous étions désespérément amoureuse de l’autre sans oser l’avouer ou se l’avouer. Nous souriions. Tous les projecteurs n’étaient pas allumés. Nous étions installées dans nos fauteuils. Bientôt la pièce a commencé, Antigone a chuchoté :
« Je ne sais pas si c’est très romantique comme premier rendez-vous d’aller voir Antigone. »
C’est perturbant de savoir que j’ai entendu son propre prénom dans sa bouche et que sur le moment je ne m’en suis pas rendue compte. J’ai répondu quelque chose qui l’a amusée. Il y avait toujours un peu de tension dans son rire, sauf parfois, quand elle était vraiment heureuse ou que c’était vraiment distrayant. Cette fois-ci il y en a eu. Ça ne m’a pas dérangée. Elle riait au moins. Je l’ai trouvée très belle. Les gens affluaient et un brouhaha montait. Bientôt les lumières se sont éteintes et je l’ai embrassée à nouveau. Dans la pénombre on ne pouvait pas savoir si elle était une fille ou un garçon, dans la pénombre on ne nous distinguait pas. Je n’avais que lu la pièce. Je ne me suis pas doutée, quand nous sommes allées voir Antigone sur scène et que ça semblait si tragique, que c’était son prénom, que ça serait son histoire. Pas une fois Antigone ne l’a laissé paraître. Peut-être car dans la pénombre, je ne la distinguais pas.
Je me sens très seule soudain, alors que je suis encore dans le hall. Les portes de la salle me sont fermées. Une vigile refuse que j’entre. Je voudrais me coller à elle en lui murmurant à l’oreille qu’il y a une morte qui me poursuit à cloche-pied sur une jambe décomposée, mais je me contente de hocher la tête. Je m’assois sur un banc, toujours à l’intérieur du bâtiment. Antigone dehors m’attend. Elle toque à la vitre puis la frappe, inlassablement, comme si elle boxait. Alors que je me mets à tourner une fois de plus l’insupportable énigme dans ma tête, à en analyser chaque syllabe, mon téléphone vibre. Je suis étonnée. On m’appelle rarement d’habitude. Il doit y avoir une urgence. Je décroche sans même regarder le numéro.
« Claire, c’est Adel. Est-ce que tu es libre ? »
J’acquiesce avant de lâcher un « oui » étranglé.
« Très bien, fait-il, et sa voix grésille un peu alors que je me lève. Est-ce que tu pourrais venir maintenant ? Au cimetière ? »
Je lui donne une réponse identique puis m’enquiers :
« Est-ce que c’est grave ? Est-ce que vous allez bien ? »
Il me rassure.
« Tout va bien. On veut juste parler du mot et de Boygirl. Antigone. À tout à l’heure. »
Je raccroche peu après. Je me dirige vers la sortie. Antigone morte se jette contre la vitre. Elle plaque ses mains pourries sur la surface lisse, à l’endroit exact où je place mes paumes pour pousser la lourde porte.
« Que vas-tu faire Claire ? Résoudre l’énigme ? »
Un instant j’hésite et me fige et la déteste. Puis je hoche lentement la tête de haut en bas. Elle verse avec pureté une larme de soulagement. Son sourire à nu ressemble finalement à ceux qu’elle me faisait de son vivant. Pour la première fois depuis des mois, Antigone est sereine.
« Je ne te hanterai plus après, je te le jure. J’ai besoin que tu fasses ça. »
Elle effleure la paroi vitrée de ses lèvres desséchées. Je voudrais y poser les miennes pour sceller sa promesse. Elle le sait et s’effrite dans un souffle. Dehors il y a une foule de personnes qui ne connaissent ni Antigone ni Boygirl ni Camille, et je les trouve chanceuses autant qu’infortunées.

Nous nous sommes donné rendez-vous au cimetière devant la tombe du frère et de la sœur – mais surtout de la sœur. Adel et Isidore parlent nonchalamment quand j’arrive. Mes pas sur le gravier les alertent de ma présence. Isidore tourne la tête. Il s’avance vers moi.
« Claire, désolé, ça va ? »
Je hausse les épaules. Je me sens apaisée depuis qu’elle m’a promis son départ une fois le message révélé. Les visions me laissent un peu tranquille. Seule une raie m’accompagne, volant à la limite de mon champ de vision. Les roses sur la tombe restent immobiles et inhumaines. C’est rassurant.
« On peut quitter le cimetière peut-être. » propose Adel.
Nous sommes d’accord, alors nous dirigeons vers un parc plus tranquille. Dès le portail passé Isidore m’interroge :
« Tu es sûre que ça ne te dérange pas qu’on parle d’elle ? Ça ne va pas te faire de mal ? »
Je secoue la tête et l’assure que tout se passera bien. Il semble plus calme.
« Je ne connaissais pas Boygirl, ou Antigone. » se rattrape-t-il immédiatement.
Il a une expression confuse sur le visage.
« Appelle-la Boygirl, ça ne me dérange pas. Elle voulait que je l’appelle comme ça aussi. »
J’ajoute avec amertume alors qu’un arbre me rafraîchit de son ombre terne :
« Je ne connaissais même pas son prénom. J’aurais pu chercher peut-être. Je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas fait, si c’était si important. »
Je tente de sourire. Isidore fronce les sourcils.
« Je suis désolé. Je croyais que vous étiez sorties ensemble ? »
Je hoche la tête vivement pour le lui confirmer. Antigone glisse sa main pourrie dans la mienne comme une excuse. Elle murmure à mon oreille : « Pas là… » pour me rappeler sa promesse.
« Elle était vraiment particulière. Ça ne m’étonne pas, qu’elle ne laisse pas de lettre d’adieu trop facile à trouver. »
Isidore approuve doucement Adel, puis laisse échapper :
« Je suis étonné qu’elle m’implique là-dedans. Vraiment. »
Nous arrivons dans le parc. La pelouse est aussi verte qu’elle peut l’être par ces températures infernales. Les fleurs sont mourantes. Les arbres déploient leurs feuillages sous le soleil puissant. La lumière les transperce et nous transperce et transperce les chemins jaunes. Elle tombe acérée et brûlante. C’est un été que ne connaîtra pas Antigone, un été que je vivrai sans elle. Je m’imaginais l’emmener à la plage. Ça n’arrivera pas. Encore une fois je me dis que c’est étrange de ne pas avoir pu prévoir son suicide alors que je savais pertinemment qu’elle n’était pas heureuse. Je me mentais à moi-même en me persuadant que j’étais en train de la sauver. Peut-être l’ai-je tuée.
« Elle remarque, remarquait, les gens. Ceux qui l’intéressaient ou qui étaient dignes de son intérêt – qu’elle les apprécie ou non – elle trouvait toujours un moyen de leur faire savoir. Il n’est pas trop tard comme tu le penses. Elle t’a remarqué, elle s’est tuée avant de te parler, mais il n’est pas trop tard. Elle t’implique pour entrer en contact. C’est post-mortem donc elle le fait uniquement pour toi. Tu as de la chance. », ajouté-je avec une fine rancœur.
Isidore hoche la tête en s’asseyant sur un banc esseulé. J’y prends place également, Adel s’installe à mon opposé. La chaleur rampe sur ma peau comme un essaim d’abeilles.
« Je l’ai toujours imaginée terriblement solitaire. Je n’aurais jamais pensé à votre histoire. »
Étrangement ça me fait sourire.
« Qui fleurissait sa tombe pour toi, alors ? »
Il réfléchit un peu. Adel a les yeux posés délicatement sur lui, et peut-être regardais-je Antigone avec la même attention.
« Je ne sais pas. Un professeur peut-être. Ou quelqu’un comme moi qui l’admirait secrètement. Ou elle-même. »
Il rit doucement à cette dernière proposition. Je comprends soudain pourquoi Antigone a écrit son nom au milieu des pierres dans notre sanctuaire.
« Elle m’a demandé de le faire. »
Isidore se tourne vers moi, un peu surpris.
« Elle t’a demandé de fleurir sa tombe ? Tu savais qu’elle allait se suicider ? »
Je secoue la tête.
« Non, je ne pensais pas que ça allait arriver si vite. Elle avait l’air anxieuse et j’ai vu que c’était important pour elle alors je lui ai promis. »
Il a toujours cette sorte d’incompréhension au fond des yeux. Quelqu’un passe devant nous mais ça n’est pas Antigone.
« Elle était si angoissée ? »
Cela semble l’intriguer, l’étonner. Il idéalisait certainement Boygirl. Je ne sais pas quoi répondre. Je ne veux pas briser l’image qu’il s’est fait d’elle et, en même temps, cela m’agace.
« Elle le cachait bien. Parfois ça ressortait. »
Je pense à une certaine salle de bain. Puis j’ajoute :
« Tu ne lui parlais vraiment jamais ? Ça serait étrange quand même. »
Il secoue la tête.
« Non, jamais. Adel lui a plus parlé que moi, et elle lui a adressé seulement une phrase. »
Adel confirme. Je suis désemparée. Une raie verte passe lentement devant nous, à quelques mètres du banc, de cette nage qui ressemble à un vol. Pour ne pas me laisser sombrer je demande :
« Et donc, le premier bleu ? Ça ne te dit rien ? Ça ne vous dit rien ? »
Ils ne répondent pas. Isidore tord ses mains. Je relance :
« Quand est-ce qu’ils t’ont frappé pour la première fois ? »
Il est déstabilisé, mal à l’aise, à l’évocation de souvenirs douloureux. Adel pose une main sur son épaule. Ce geste me fait réaliser ma violence et je m’excuse. Isidore secoue la tête pour m’indiquer que ce n’est rien.
« La première fois, mais c’était subtil je ne suis pas sûr, c’était dans la cantine. Je l’ai vu dans ma salle de bain, mais ils ne m’ont pas frappé là-bas. La seconde fois, c’est quand ils m’ont attendu dans les vestiaires de la piscine et là c’était sûr, sûr qu’ils voulaient me frapper, j’aurais pu en douter un peu au self. »
Il se tait brutalement. J’attends un peu avant de poser ma prochaine question. L’air chaud stagne tout autour de nous et j’ai l’impression de m’y noyer. L’herbe se consume doucement au pied des arbres. Quelques familles se pressent sur le chemin avec des rires stridents. Les vêtements colorés des enfants éclatent sur les graviers ternes. On entend des cris diffus en direction du toboggan et du tourniquet. C’est l’été soudain.
« Il y avait une odeur particulière à chaque fois ? »
Un petit garçon se met à pleurer.
« Je ne sais pas. À la cantine c’est forcément la graisse et l’huile, à la piscine, plutôt le chlore. Le pire parfum, c’est selon elle. Elle t’a déjà dit s’il y avait des odeurs qu’elle détestait ? »
Je prends ma tête entre mes mains, extrêmement lasse. Elle ne m’a rien dit. Je passe et repasse ces deux lieux, ces deux senteurs, dans ma tête. Elle ne me parlait pas du self. Ça n’avait pas d’importance. Nous n’y sommes jamais allées ensemble. Nous ne sommes pas non plus allées à la piscine toutes les deux – cependant, l’épisode dans les vestiaires du local de boxe me revient. Je me rappelle de son corps figé et de ses yeux confus. Ce n’est qu’une intuition, j’aurais voulu une certitude, quelque chose de plus que le cadavre d’Antigone acquiesçant lentement à mes côtés.
« On essaiera la piscine demain, ça vous va ? »
Ils hochent la tête. Je crois que tout ça est absurde. Ils savent pertinemment que ce mot qu’Antigone m’a laissé n’a aucun sens. Je m’évertue à penser que ce n’est pas vain pour pouvoir penser que je ne suis pas folle. Nous évoquons bientôt des sujets plus légers. Isidore me demande si mes premières épreuves se sont bien passées. Je détourne rapidement la conversation – j’en parlerai ce soir avec mon père et ma mère, et je sais à l’avance que ça sera désagréable. L’enfant au loin pleure encore. Antigone qui pose une main sur mon épaule est aussi en larmes. Elle me murmure d’une voix rongée par les vers :
« Pas là… »
Je voudrais qu’elle s’absente.

Mes parents ne sont pas encore rentrés. Notre importante conversation au sujet de mon avenir attendra. Je devrais être seule, mais des Antigone fleurissent partout dans la maison. Mise à part celle qui s’appuie presque lascive contre mon bureau, d’autres envahissent le salon, la cuisine, les couloirs. Elle se fait plus présente parce qu’elle sait qu’elle devra bientôt partir. Elle va devoir honorer la promesse qu’elle m’a faite. Une fois le pire parfum humé, elle disparaîtra. Une fois le premier bleu décelé, elle mourra. Je me promène lentement dans les pièces et la découvre partout, brûlante de souvenirs. Pas là, pas là, pas dans ma tombe mais dans ta chambre, je veux m’enterrer sous tes draps et y pourrir paisiblement. C’est à en devenir folle. Je sors en courant de la maison sous ses abominables cris. Je referme la porte sur une main qu’elle tend et brise ses doigts. Elle pourrait hurler mais ne fait que murmurer : « Pas là. » Je m’assois sur le perron et enfouis ma tête entre mes mains. C’est la dernière fois, la dernière fois qu’elle me hante, c’est normal que ça soit si violent. Demain au retour de la piscine il ne restera plus rien de sa présence fantomatique, demain dans les vestiaires elle s’évaporera en chuchotant : « Pas là. » quand j’aurai trouvé cette clé, lu ma lettre d’adieu. J’entends deux Antigone gémir dans l’entrée, et je prends ma décision. Ce pèlerinage s’arrêtera ici. S’il y a un endroit sur Terre où Antigone a vécu, c’est chez moi. Je ne compte plus les nuits, je ne compte plus les heures qu’elle y a passées. Je prends une profonde inspiration, comme si j’allais plonger, et entre. Deux Antigone se dressent derrière la porte, l’une qui va partir et l’autre qui dit timidement bonjour. La réalité de ces deux êtres est altérée par leur état de décomposition avancée. Elles ne devraient pas être capables de se mouvoir avec une telle grâce. Je les regarde tourner en rond dans l’entrée. Parfois elles prennent des expressions humaines, qui cependant fondent rapidement sur leurs visages de mortes. Je souhaite ardemment que ça cesse, que ce cauchemar cesse. Je me tourne vers Antigone qui veut sortir, et je la prends par les épaules. Je plante mes yeux dans ses orbites. Elle est terriblement dépourvue de vie, pourtant une larme dévale sa joue verte. Elle exhale :
« Pas là, Claire… Pas là… Laisse-moi rester ici plutôt que dans ma tombe. »
Elle prononce le dernier mot avec un effroi tel que je me mets à pleurer aussi. Je la hais certainement d’avoir envahi ma maison, mais je l’aime trop encore pour la voir si triste. Je fais un effort surhumain pour lentement secouer la tête.
« Je ne peux pas, Boygirl. Ça me tuerait. »
Je me blottis contre elle, je l’étreins malgré sa répugnante putréfaction. Je la console. Son cadavre se dissout contre ma poitrine : quand j’écarte mes bras, Antigone qui veut sortir a disparu. Je me tourne vers sa sœur qui a le sourire timide d’une Boygirl qui entre chez moi pour la première fois. J’ai compris. Antigone est terrifiée au cimetière, Antigone vient se réfugier ici comme dans la chambre de sa mère. Je n’ai qu’à la rassurer pour qu’elle s’en aille. Je l’enlace alors que son bras se détache de son buste. Avant même qu’il ne touche le sol, il s’est déjà dissipé, et le corps que j’étreins s’évapore lui aussi. Je m’aventure dans le salon où au moins quatre Antigone vaquent à leurs occupations. Une chanson que j’ai écouté avec elle résonne étrangement, comme si je l’écoutais sous l’eau. Une morte s’est assise sur le canapé et reste immobile. Je prends place à côté d’elle. Il ne lui reste qu’un œil, qui verse une larme sur ses pourritures. Je pose une main douce sur son épaule qui s’enfonce sous mes doigts. Il faut que je la serre contre moi. Elle tourne la tête vers moi comme pour m’embrasser. Je l’étreins et elle s’effrite. Je reste un instant hébétée sur ce canapé, abrutie par les souvenirs qui m’envahissent. Je jette un regard derrière moi : une foule d’Antigone rit et danse et observe et boit et parle et écoute à différents endroits. Je pousse un profond soupir qui éclate en milliers de bulles hors de ma bouche. Je les enlace une à une, une à une elles disparaissent. Cela me prend de longues minutes, mais le salon bientôt est lavé d’Antigone. Je passe de pièce en pièce, je les serre dans mes bras en les prévenant à chaque fois que je vais le faire, elles se blottissent contre moi en pleurant et nous partageons un sanglot avant qu’elles ne retournent dans leur tombe. À force de répéter ces gestes, cela devient un rituel. J’arrive dans le couloir qui dessert les chambres. Une Antigone y traîne, l’air hagard, l’air perdu. Elle m’ouvre ses bras pour que je m’y jette. Dans les miens elle se disperse. La porte de la salle de bain est fermée alors que je m’arrête devant, intriguée. J’entends une Antigone derrière, pleurer plus fortement que toutes celles que j’ai consolées jusqu’alors. Je frappe doucement.
« Tu es là ? »
Je n’obtiens pas de réponse. Je demande encore. C’est ce même silence embué qui suit ma question, je me permets d’ouvrir la porte. J’y trouve une Antigone aux yeux noyés en train de pleurer si violemment qu’elle en tremble. Quand elle m’entend, elle se relève et court vers moi pour prendre mes mains.
« Pas là… », murmure-t-elle au fond d’un sanglot.
Je hoche la tête. Ses doigts se putréfient entre les miens à une vitesse hallucinante.
« Bientôt, Boygirl. Sois patiente. Si tu m’avais donné autre chose qu’une énigme à résoudre, peut-être que ça serait allé plus vite. »
J’aurais voulu qu’elle me donne raison, mais elle ne fait que répéter :
« Pas là… »
Alors lentement je me presse contre elle. Je referme mes bras dans son dos. Ses longs pleurs dévalent mon cou puis ma poitrine. Elle finit par se dissoudre. Son absence est assourdissante. Je voudrais m’effondrer sur le carrelage de la salle de bain, mais je me force à sortir. Il ne faudrait pas que je devienne cette Antigone gémissante. Je sais qu’il y en a une dernière qui m’attend dans ma chambre, appuyée sur mon bureau dans un ensemble en dentelle bleue, mais elle peut attendre. Une seule Antigone dans ma maison, ça n’est pas si grave, c’est même plutôt joli quand je ne la hais pas.
 
Meredith Epiolari

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MessageSujet: Re: Boygirl [TS/M]   Boygirl [TS/M] - Page 3 EmptySam 11 Mai - 17:52

C'est génial, parce que soudain on se dit qu'à partir de la première partie, celle d'Isidore, on pourrait résoudre l'énigme...
Mon intuition est que la piscine est une bonne idée : c'est un endroit horrible :')

Toujours hâte de continuer la lecture !


Dernière édition par Meredith Epiolari le Dim 12 Mai - 20:49, édité 1 fois
 
Maze

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MessageSujet: Re: Boygirl [TS/M]   Boygirl [TS/M] - Page 3 EmptyDim 12 Mai - 14:59

J'avoue que je ne veux pas spoiler, mais la piscine est un lieu MAUDIT et les cours de natation devraient être interdits c'est une horreur :')

On arrive bientôt à la fin de la partie de Claire ! Very Happy



La lumière du soleil couchant inonde la cuisine. J’observe ses reflets de bronze sur ma peau alors que je saisis mes couverts. Je sens les regards pesants de mes parents sur moi. Il y a celui triste d’Antigone, plus loin, qui m’effleure. Peut-être est-elle assise sur l’évier dans un ensemble en dentelle bleue.
« On ne te voit pas beaucoup réviser Claire. »
Je hoche la tête. Dès que j’essaie de me plonger dans un manuel ou mes notes, je pense à Antigone. À son suicide, à son abandon, à ce que j’aurais pu faire, à la manière dont elle me regardait si amoureusement, à ce qui l’a poussée à mourir, aux coups qu’elle recevait, à son nom qu’elle m’a caché, à tous les secrets qu’elle recelait, à sa maison dont elle m’éloignait sans cesse. Je n’y suis jamais entrée, je n’y ai jamais dormi. Je n’ai jamais mis les pieds chez elle. Devant mon insistance Antigone m’a montré une photo de sa chambre. C’était un endroit simplement tranquille. Très ordonnée, je me serais attendu à autre chose de sa part, peut-être des vêtements par terre et des livres. Mais il n’y avait que de la moquette bleue partout, et un bureau quasiment vide. Elle m’avait dit : « Tu vois, ça n’a rien d’extraordinaire. » Sur l’image on voyait vaguement son reflet dans le miroir.
« C’est important, il s’agit de ton avenir. »
La phrase tranchante de mon père me tire de ma rêverie. J’acquiesce.
« Tu n’es pas sérieuse depuis quelques temps. Que se passe-t-il ? »
Je le regarde droit dans les yeux. Mon verre est presque vide. Je me demande un instant si je peux tout dire, ou s’il faut mentir. Je tente de déceler dans son regard sévère une sorte de réponse. Je me tourne vers ma mère. Ses yeux identiquement me fixent sans pitié. Je laisse un sourire cynique s’étendre sur mon visage, alors que je repousse doucement mon assiette à peine entamée. De minuscules poissons translucides virevoltent autour de l’ampoule éteinte, et d’autres barbotent dans le pichet. Je me sers un verre d’eau et les avale d’une traite. Ils sortent de ma bouche quand je déclare :
« Ma petite amie s’est suicidée il y a quelques mois. Ça me donne envie de me tuer parfois. Ou peut-être tout le temps. »
Je me lève. L’assise de ma chaise est envahie par des roses blanches et roses. J’en cueille deux pour les apporter à Antigone demain.
« Rassieds-toi. » ordonne mon père.
Si c’était réel je lui soufflerais à la figure tous les petits poissons blottis dans mes joues. Je me contente de le dévisager. Je suis emplie d’une rage incomparable dirigée contre tous, y compris moi-même. Je tremble comme Antigone dans le vestiaire, et si c’était un signe de faiblesse pour elle, ce frémissement de haine est synonyme de la force nouvelle qui m’habite. Je pourrais tout détruire.
« Claire, nous allons en parler. Nous ne t’en voulons pas. C’est l’adolescence, tu te cherches encore. »
J’éclate de rire. Je vomis des méduses et ma gorge s’enflamme.
« Ce n’est pas l’important. L’important c’est que la personne que j’aime, j’aimais, s’est tuée. C’est pour ça que je vais mal. Question suivante. »
Je me dresse si puissamment dans cette cuisine alors que le soleil se couche. Mes parents ont posé fourchettes et couteaux pour m’observer, outrés. L’odeur douceâtre d’un repas froid commence à s’élever de la table.
« Question suivante. »
Je suis à bout de souffle et pourtant je pourrais pourtant parler pendant des heures, déverser des insultes surtout. Antigone que je hais, Antigone qui m’abandonne.
« Est-ce qu’on peut espérer que tu te reprennes en main avant de rater complètement le baccalauréat ? » s’enquiert ma mère qui accepte de jouer mon jeu.
Je hausse les épaules avec un dédain incomparable. Peut-être celui qu’adressait Antigone à ses harceleurs. Je me sais impertinente et j’en suis fière sur le moment. Je regretterai dans deux heures mais pour l’instant c’est jouissif. Antigone que je hais, Antigone que je voudrais haïr.
« Je suis en train de faire mon deuil. Je fais encore beaucoup de cauchemars. Je me sens encore mal. On ne s’est pas dit au revoir alors c’est difficile. »
Alors c’est une torture. Les roses maintenant s’enchevêtrent au dossier de ma chaise et au pied de la table. Elles se balancent comme sous l’eau. Elles ont cette fragrance insupportable du cadavre d’Antigone, cette odeur qui devrait être celle de la mort et qui ne l’est pas, qui est même son exact opposé. C’est certainement le plus abject, le plus infâme parfum. C’est certainement le pire et je suis en train de devenir complètement folle.
« Mais je ne comprends pas Claire, ça ne devrait pas te détourner de… »
Je ris pour couper mon père. Je pose mes deux mains de chaque côté de mon assiette où poussent des fleurs. Je chuchote très vite :
« Ça durait depuis octobre, novembre. C’était mon premier véritable amour réciproque, vous en avez tous eu un. Ce n’est pas parce que je suis grosse que je n’y ai pas droit. Ce n’est pas parce que je suis lesbienne que je n’y ai pas droit. »
Je me redresse, abandonnant la cuisine entière aux roses dont elle est la proie, et mes parents qui sont liés par les tiges épineuses sans que ça ne m’émeuve. Les poissons minuscules butinent les fleurs. J’en crache encore quelques-uns, puis me retire avec fureur.

Dans ma chambre, Antigone dans son ensemble de dentelle bleue m’attend, adossée au bureau. Inlassablement cette scène voudrait se répéter dans mon esprit – je l’en repousse. Je m’assois sur mon lit et dévisage la jeune fille. Sa beauté me frappe, réveille en moi un sentiment douloureux que je m’efforce d’étouffer. Antigone me dévisage avec un sourire très doux.
« C’est une jolie preuve d’amour. », fait-elle en essuyant une larme au coin de ses yeux.
Je hausse les épaules en essayant de paraître détachée.
« J’aurais pu être moins violente. Ils ne l’étaient pas tant que ça. »
Elle l’admet, mais me défend encore. Elle tend la main vers une raie manta qui tournoie autour d’elle mais ne la touche pas. L’animal bleuté s’éloigne aérien. La lumière fade de ma lampe de chevet peine à dessiner des ombres franches sur le corps dénudé d’Antigone. Je laisse passer un silence. J’entends mes parents discuter et crier un peu et pleurer un peu. Ça ne me fait plus rire. J’imagine les roses déchirées piétinées fanées.
« Demain tu vas disparaître. On va résoudre ton énigme stupide, certainement. »
Antigone tourne son visage vers moi. Je remarque qu’elle a certainement plus de bonté dans le regard qu’elle n’en avait en réalité. Elle a toujours ce sourire presque naïf sur les lèvres. Il ne l’était pas quand elle était en vie. Il n’y avait pas une once d’innocence en Antigone.
« Je ne disparaîtrai pas Claire. Pas tant que le dernier souvenir restera gravé dans ta mémoire, pas tant que tu ne t’en seras pas débarrassée. Regarde-moi, à traîner partout dans des sous-vêtements de dentelle bleue, c’est ridicule. Rappelle-toi. »
Elle prend l’expression du souvenir, la position exacte. Je ferme les yeux, inspire fermement.
« Après l’énigme. Je veux que ça soit la dernière chose qu’il me reste de toi. »
J’entrouvre mes paupières. Elle s’est effacée. Une fois que je trouverai une lettre d’elle, un adieu de sa part, je ne la verrai plus jamais. Une tortue de mer s’échoue sur mon bureau en me rappelant les énigmatiques et incessants « Pas là » que me chuchote et hurle Antigone dans mon sommeil, qui m’intriguent peut-être même plus que le mot pour Isidore. Je chasse d’un clignement de paupière cette hallucination en tentant d’oublier mes déroutants cauchemars. Je crache un dernier poisson et m’endors.

Adel et Isidore se tiennent côte à côte dans le bus. J’ai l’impression de nous revoir Antigone et moi. Je les trouve beaux. Ils sourient paisiblement, comme si nous n’allions pas potentiellement comprendre pourquoi Antigone a mis fin à ses jours. Nous parlons un peu. Ils me demandent si je réussis à réviser malgré tout ça. Je réponds que non avec un sourire triste. Le véhicule s’arrête un peu brutalement, Isidore perd l’équilibre et Adel le retient. Ça les amuse.
Nous rejoignons rapidement la piscine municipale. C’est un samedi en été, il y a foule. Nous faisons la queue patiemment. Mon rythme cardiaque accélère une fois que nous passons la caisse. Nous dépassons discrètement les cabines individuelles et tournons à gauche. Nous ignorons les vestiaires des garçons pour nous diriger vers ceux des filles. Isidore en est soulagé. Il n’est pas très à l’aise ici. Je donne un coup de pied dans la porte des vestiaires masculins. Il rit un peu et m’adresse un regard reconnaissant. Puis je pose la main sur la poignée de la porte des vestiaires des filles – ceux utilisés par les classes de collégiens ou de lycéens. J’inspire profondément.
La pièce est terriblement vide. Pas d’Antigone nonchalante assise en tailleur qui me tend une enveloppe violette enceinte d’une lettre d’excuse et d’amour et d’adieu à la fois. J’ai les jambes coupées, Isidore aussi, nous nous asseyons dans un même mouvement éreinté. Nous échangeons un regard mélancoliquement rieur. Adel se dresse serein au milieu de la salle, les bancs blancs l’encadrent. Il n’a pas peur ici.
« Par où on commence ? Il n’y a pas d’odeur très particulière. »
Isidore lui fait un signe :
« Va ouvrir la porte du fond. C’est le chlore. »
Adel s’exécute. Nous nous mettons ensuite à fouiller les vestiaires, bien que les cachettes manquent cruellement. Les minutes se suivent et le parfum agressif du chlore s’empare de l’espace. Isidore ne se sent pas très bien. Je lui dis qu’il peut sortir mais il refuse. Ça paraît important pour lui de rester et d’affronter ses terreurs, ses souvenirs. Nous regardons sous les bancs et au-dessus des porte-manteaux. Ça prend peu de temps. Les vestiaires n’offrent pas beaucoup de recoins où déposer un mot et une clé à l’abri des regards.
Nous nous écroulons tous les trois sur le banc et poussons un soupir commun.
« On est peut-être au mauvais endroit. Peut-être que c’est la cantine. »
Je secoue négativement la tête, car l’odeur de chlore qui se répand est la même que celle qui traîne derrière le cadavre d’Antigone. Ça ne peut être que ça – ou peut-être le désiré-je si fort que j’invente des liens entre les événements et les éléments. Antigone danse au milieu des vestiaires en convulsant. Je ne peux plus dire si elle pourrit ou non. Elle est grandiose comme à son habitude et ses mouvements saccadés remuent le pire parfum. Il faudrait que je plonge au fond des bassins pour espérer pêcher une lettre. Il faudrait que je me perde dans des abysses faïencées pour avoir une change minuscule d’en remonter un mot d’amour. Antigone veut que je m’asphyxie pour résoudre l’énigme. Antigone veut que je me noie pour trouver une clé qui verrouillera sa tombe à jamais. Antigone veut me tuer.
Je quitte le banc pour me jeter dans le bassin le plus profond de cette piscine. Je veux remplir mes poumons d’eau chlorée comme s’il s’agissait d’oxygène. Antigone s’immobilise. Elle me bloque la porte de son corps maigre et dépecé. Je veux la repousser mais je n’ose la toucher. Elle me terrifie. Ses orbites vides ont la couleur d’un tombeau partagé par un frère et une sœur. C’est l’obscurité la plus pure.
« Ne fais pas ça. », murmure-t-elle d’une voix rauque.
Je veux l’écarter et sortir et mourir, mais elle me jette à terre. Je tombe. Elle me surplombe. Elle se met alors à sangloter, des larmes épaisses naissent de ses yeux absents. Elle semble tour à tour désespérée et enragée. Nous sommes aussi folles l’une que l’autre.
« Ne fais pas ça, répète-t-elle. N’abandonne pas. Ne me laisse pas dans ma tombe. Ne m’y enferme pas. Ne m’y oublie pas. Claire je t’en supplie. Ne fais pas ça. »
Elle s’agenouille auprès de moi. Je ferme les yeux. Je n’ai pas la force de me relever.
« Je suis fatiguée de chercher. À force je vais en mourir. Dis-moi simplement, est-ce que c’est là ? »
Antigone lève avec une lenteur extrême ses mains décomposées vers mon visage, qu’elle recueille dans ses paumes vertes. Je tremble. Elle empeste le chlore.
« C’est là. », chuchote-t-elle et hurle-t-elle à la fois.
Elle me tend son bras, je l’agrippe et me redresse sans qu’il se brise. Antigone tend un doigt osseux vers des hublots surmontant les porte-manteaux en face de nous. Je me dirige vers eux. Il n’y a pas de lettre sur leurs épais rebords. Je bondis sur le banc blanc avec l’aide d’Antigone. Je passe ma main sur le rebord du hublot central sans rien y trouver, c’est finalement sur celui de droite que je sens sous mes doigts une fragile clé en forme de cœur. Le contact frais du fer en pleine canicule me surprend d’abord. Puis Antigone à mes côtés me susurre d’une voix inhumaine que j’ai trouvé. Je manque de m’effondrer. Il n’y a pas de lettre. Il n’y a pas de mot. Je me tourne vers Adel et Isidore en brandissant la clé.
« La voilà. »
Je devrais me sentir victorieuse, je ne suis que nauséeuse. Ma voix résonne dans le vide des vestiaires. Quand son écho se dissipe nous nous demandons ce qu’elle ouvre. En l’observant de plus près, nous en déduisons qu’il s’agit certainement d’une clé pour ouvrir un de ces journaux intimes d’enfant. Antigone est étendue sur le carrelage au milieu de roses qui percent la faïence et elle pleure ou se meurt ou s’endort. Je préfère regarder Isidore dans les yeux pour l’oublier.
« Mais où est le journal ? » demandé-je d’une voix éraillée.
Je ne sens plus vraiment mon corps. Je refuse de chercher encore et de courir après elle ainsi. Elle est morte, elle est morte, qu’elle nous laisse tranquille, qu’elle cesse de revivre, que ça soit via mes visions ou ses énigmes. Elle est morte, qu’elle meure.
« Tu as fait tous les endroits ? »
Je hoche la tête en accentuant trop le geste. Je veux à nouveau courir le long des piscines, plonger dans les flots chlorés. Adel pose une main compatissante sur mon épaule. Sans le savoir il m’empêche de mourir. Isidore se sent concerné par le mot et abandonné aussi peut-être. Je croise son regard inquiet qui m’interroge. J’affirme pour ne pas sombrer :
« Il est chez toi non il doit être chez toi. »
Mais il réfute mon hypothèse en répondant que Boygirl ne savait pas où il habite. Je voudrais répondre qu’elle savait tout. Le carrelage sous mes doigts s’effrite et tangue, je tangue avec. Le sol me paraît liquide. Nous sortons des vestiaires mais je ne suis pas vraiment là, je suis dans des abysses monstrueuses et peut-être que je m’allonge au côté d’Antigone au milieu des fleurs en lui demandant si une tombe sous-marine et des roses sous-marines et une moi sous-marine valent mieux que sa sépulture si torturante à la surface.

« Antigone et Claire au fond de l’océan dans deux jolis cercueils côte à côte fleuris de coraux roses et blancs ; est-ce que c’est plus désagréable qu’Antigone et son frère dans un cimetière hideux dans deux pauvres cercueils côte à côte fleuris de roses roses et blanches par une idiote appelée Claire ? »

Je suis allongée sur mon lit. Je tourne parfois la tête pour regarder par la fenêtre. Un soleil lourd s’y traîne avec lenteur. Les ombres imperceptiblement tournent avec lui. Antigone parfois s’adosse à mon bureau mais je n’ai qu’à cligner des yeux pour qu’elle disparaisse.
Mon téléphone se met à sonner dans le silence stagnant. J’avance une main fatiguée vers lui et décroche. Je le porte à mon oreille et attends que la personne qui m’appelle se mette à parler.
« Claire ? Tu vas bien ? Ça fait plusieurs jours qu’on ne s’est pas vus, je me demandais, qu’est-ce qu’on fait à propos de la clé ? »
La voix timide et pourtant déterminée d’Isidore crépite. Je soupire assez fort pour qu’il m’entende. Je me redresse et m’assois sur le bord de mon lit.
« Je ne sais pas. »
Mes draps se froissent sous mes cuisses.
« Le baccalauréat, c’est terminé ? » me demande l’adolescent sans savoir s’il doit aborder le sujet.
Je confirme vaguement.
« Est-ce que tu as encore la force de chercher ? »
Je secoue la tête. Les larmes me montent aux yeux. Je regarde la lumière se déposer sur le sol. La réalité ne se déforme pas sous cette chaleur morbide.
« Je ne sais pas. Et toi ? »
Je le sens résolu à l’autre bout du fil.
« Oui. J’ai besoin de savoir pourquoi elle m’a mêlé à tout ça. »
C’est compréhensible. Je me le demande aussi. Le fait qu’Antigone ait mis Isidore à égalité avec moi – pas de lettre d’adieu, mais une simple énigme, une simple clé et rien à ouvrir, pour tous les deux – me pose question (me blesse aussi, terriblement).
« Tu n’es vraiment pas lié à elle, d’une quelconque manière ? » l’interrogé-je pour le faire parler.
J’ai besoin de me distraire peut-être. Il hésite un peu, commence une phrase sans la terminer, puis parvient à me dire :
« Non. Enfin, juste, je l’admirais. Je voulais vraiment lui parler et je n’y arrivais jamais. C’est triste que je n’aie trouvé le courage de le faire que devant sa tombe. »
Je suis certaine qu’il sourit un peu tristement, à la manière de Boygirl quand elle me disait qu’elle n’était pas éternelle, pas nécessaire, deux semaines avant sa mort. La lumière est-elle aussi pesante chez lui que dans ma chambre ? Au cimetière que dans ma chambre ?
« Je la voyais se faire frapper et tout le temps je me disais qu’un jour j’interviendrais. J’ai dû croiser son regard quelques fois mais jamais longtemps. »
Il était tellement anodin dans la vie d’Antigone et elle le lie à moi. Après tout, elle m’a à peine moins parlé de lui que de son frère.
« Je prends son petit jeu comme une manière de me racheter. T’aider à trouver le mot qu’elle t’a laissé – parce qu’elle t’a laissé un mot, Claire, c’est sûr, dans ce journal – ça me débarrasse de beaucoup de culpabilité. Adel aussi d’ailleurs. C’est peut-être pour ça qu’elle a préparé tout ça. Pour nous pardonner dans la mort. »
Je me demande un instant si elle n’a pas fait ça seulement pour Isidore, si au final je ne suis pas qu’un pantin, puis je me raisonne.
« Mais ça me torture moi que ses adieux soient si difficiles à trouver. » fais-je plaintive.
Il me rassure comme une enfant :
« Ne t’en fais pas. On réussira. »
Nous laissons planer un silence qui ne nous met pas mal à l’aise. Je ferme les yeux pour qu’Antigone s’évapore. Puis Isidore reprend :
« C’est étrange, n’est-ce pas ? On ne sait pas pourquoi elle fait tout ça. Il y a des dizaines d’hypothèses mais on ne peut être sûrs d’aucune tant qu’on n’a pas retrouvé le journal. Même morte elle reste impénétrable et illisible. »
C’est vrai, mais je ne peux l’accepter.
« Je la comprenais un peu. Elle s’ouvrait un peu à moi. C’était rare mais elle l’a fait. »
Jamais intentionnellement bien sûr, elle me protégeait d’elle-même. Ça me tuait. Ça l’a tuée. Je laisse échapper un sanglot.
« Je n’en peux plus, penser à elle tout le temps, c’est insupportable, je veux que ça soit terminé et en même temps j’ai l’impression que ça ne s’arrêtera pas tant qu’elle ne m’aura pas laissé quelque chose pour m’apaiser. J’ai encore besoin d’elle pour me dire que je peux l’oublier. Je me hais pour ça. »
Il veut me convaincre que je suis quelqu’un de bien, puis :
« Est-ce que tu voudrais te changer les idées ? »
Je ressasse inlassablement Antigone. Je me demande si je suis capable de la tirer de mon esprit – même quand elle n’est pas sous mes yeux elle est terrée au fond de ma tête.
« C’est possible tu crois ? » réponds-je en riant à moitié, désespérée.
Il me l’assure.
« Tu as peut-être besoin d’être un peu heureuse sans elle. Réapprendre à l’être sans elle en fait. »
Je sens qu’il n’a pas terminé et j’attends.
« Se détacher d’elle. Il faut se détacher d’elle. »
Il parle pour nous deux. Dans sa voix il y a une détermination certaine. Je me lève et vais à la fenêtre pour observer les arbres se dessécher sous la lumière blanche et drue. Je suis allée fleurir la tombe d’Antigone au lever du soleil pour que les roses flétrissent avant la fin du jour.
« Exactement. Mais alors pourquoi elle nous fait faire tout ça ? »
L’herbe fond lentement. Les brins jaunis sont immobiles dans l’atmosphère suffocante.
« Je ne sais pas. »
Lentement mes inquiétudes décantent. Nous restons muets quelques temps, pour que se noient nos pensées tourmentées.
« Ça te dirait de venir avec nous à la marche des Fiertés ? » propose soudain Isidore.
Dehors une brise légère se lève pour agiter les feuilles. Je m’autorise à sourire et aussitôt accepte. Plus tard je raccroche. L’été peine à pénétrer dans ma chambre, je ferme à demi mes volets pour me recueillir dans la pénombre. J’ai trop peur qu’Antigone me voie pleurer à l’idée qu’elle ne sera pas avec moi.

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