Les deux femmes sont dans une pièce. Midnight est assise derrière un bureau submergé de papiers. Meredith est assise sur un tabouret, non loin.
MEREDITH – Gno ?
MIDNIGHT – Oui, Rimi ?
MEREDITH – J'ai mal à l'oreille.
MIDNIGHT – Tu veux que je te la tire ?
MEREDITH – Allons, tu sais que je n'aime pas cela. Demande plutôt au faquin. Tu sais, Isku.
MIDNIGHT – Il ne mérite pas un seul de mes regards, une seule de mes intonations vocales, ni même une seule de mes pensées. Je ne connais pas d'Isku et n'en connaîtrai jamais. Voilà quelle est ma position à ce sujet. Il ne mérite nullement un tiraillement d'oreille. Connaissant ce pervers dégénéré échappé d'un quelconque asile psychiatrique de Villejuif, il en éprouverait du plaisir. Qu'il me dégoûte. Cet homme n'a aucun goût, et je pense qu'il n'en aura jamais. Il fait partie de cette proportion d'humains qui ne devraient pas en être et qui n'ont aucun potentiel pour mériter ce que la biologie, la génétique ou la grâce du bon Dieu leur ont offert. Nous autres, en tant qu'humains véritables, ne pouvons pas laisser agir un tel personnage.
MEREDITH – Je ne peux que t'appuyer, Gno.
MIDNIGHT – D'ailleurs, je te le répète, je préfère que tu m'appelles Mid. Gno, c'est barbare.
MEREDITH – C'est parce que c'est lui qui t'a surnommée ainsi ?
MIDNIGHT (
soudainement troublée) – Je… hum… non. C'est parce que je n'ai jamais aimé les gnocchis.
MEREDITH – En ce cas.
MIDNIGHT – Rimi, fais venir le prochain client.
MEREDITH (
sort un dossier, le feuillette puis reprend) – Ils sont deux.
MIDNIGHT – Dis-m'en plus.
MEREDITH – Un certain Pierre Solomon, accompagné de Erika Rimbert.
MIDNIGHT – Tiens, ils n'ont pas le même patronyme ?
MEREDITH – Ils n'ont pas encore le droit de se marier.
MIDNIGHT – Alors quoi, ils sont homosexuels ? Pourtant, Pierre et Erika ça m'a l'air d'un couple hétéro.
MEREDITH (
les yeux plongés dans le dossier) – Il semblerait… que ce soient une fenêtre et un interrupteur.
MIDNIGHT – Oh. (
Elle s'arrête et semble réfléchir un instant, les yeux plongés dans le vide.) Fais-les entrer, je vais voir ce que je peux faire pour eux. Mais ils ont intérêt à me payer en monnaie sonnante et trébuchante, sinon je vais voir Solomon Kane et on verra qui est le plus juif des deux. (
Elle rit.)
MEREDITH (
esquissant un sourire entre la gêne et la contrition) – Je vais les chercher. (
Elle s'approche du Jardin, disparaît un instant et revient ensuite, accompagnée des clients, auxquels elle s'adresse.) Monsieur Solomon, Madame Rimbert, venez par ici, et prenez place.
ISKUPITEL (
souriant, un peu embarrassé) – Allons, Madame, je vous en prie. Appelez-moi Isku.
MIDNIGHT (
se levant en sursaut de son siège et se tournant vers la fenêtre) – Vous… vous vous appelez Isku ? !
ISKUPITEL (
apeuré) – Je… Oui, non. Comme il vous plaira. Je ne veux pas provoquer de tels sursauts chez vous.
DARLING (
s'approchant d'Iskupitel) – Vous avez quelque chose contre Pierre ?
MIDNIGHT (
après avoir toussoté) – Non, bien sûr que non. Pardonnez mon élan, il ne mord pas. Votre deuxième nom a rappelé de peu enviables souvenirs à mon cœur. Je vous en prie, prenez place sur ces moelleux canapés.
DARLING – Je vous remercie. (
Elle s'assoit, imitée par Iskupitel.)
MIDNIGHT – Alors dites-moi, qu'est-ce qui vous amène ici, dans ce coin peu réputé et bien éloigné de votre… (
Elle parcourt le dossier rapidement.) Moselle et Auvergne natales ? Si j'en crois mon dossier, c'est Madame (
Elle désigne la fenêtre.) qui vient d'Auvergne, tandis que Monsieur (
Elle désigne l'interrupteur.) vient de Moselle.
ISKUPITEL (
avec un accent auvergnat) – Boudiou, non, c'est le contraire. Madame l'interrupteur ici présente vient de Moselle. C'est moi qui vient d'Auvergne. Je pense que cela s'entend.
MEREDITH (
salue et sort) – Bisous.
MIDNIGHT – En effet, j'aurais du entendre l'intonation naturelle de votre magnifique accent auvergnat. Il respire le fromage, les couteaux et les vaches.
ISKUPITEL (
visiblement flatté) – Merci, c'est un honneur. Le col de la Croix-Morand est en mes veines, comme vous pouvez le voir. (
Il sort de sa poche une photographie du col et la montre à côté de son bras gauche, tendu.)
MIDNIGHT (
se penchant pour comparer) – En effet, ça correspond. Vous êtes un véritable auvergnat, Monsieur Solomon, il n'y a aucun doute à ce sujet.
ISKUPITEL – Merci beaucoup. Parlez-moi de Dada.
MIDNIGHT – Dada ?
ISKUPITEL – Erika. Tout le monde l'appelle Dada, c'est plus sympathique à dire.
DARLING – En effet. M'enfin ne vous en faites pas, si vous voulez m'appeler Erika je n'en mourrai pas, au contraire de mon cher Pierre. Je suis fière et satisfaite de mon prénom, pas comme Isku.
ISKUPITEL – Allons, Dada, vous savez que je ne déteste pas mon prénom. C'est simplement une préférence, comme toi.
MIDNIGHT – Vous êtes sûre qu'on ne peut pas l'appeler Pierre ? Parce que moi j'aime bien Pierre comme prénom, et je dois dire qu'Isku ça me… vrille tête.
ISKUPITEL (
regarde les yeux de Midnight un moment) – Vous avez de beaux yeux. Vous méritez un effort de ma part. Je me nommerai Pierre pour la soirée.
DARLING – Allons, Pierre, tu sais bien que tu devrais plutôt regarder sa jambe droite.
ISKUPITEL – Dada, je ne regarde jamais la jambe droite avant le 3ème rendez-vous. Je dois être sûr de la personne avant de m'intéresser à sa… (
Il rougit.) jambe droite.
DARLING – Pierre. Qu'est-ce que je t'ai déjà dit ?
MEREDITH (
entre, fait quelques pas depuis la Cour, s'arrête) – La Samovar est prête. Je vous apporte le thé ?
ISKUPITEL – La jambe, c'est le plus important.
MIDNIGHT – Il ne faut pas le perdre, amenez-le.
DARLING – Exactement. Ne jamais la perdre de vue.
MEREDITH – Bien. (
Elle redisparaît.)
ISKUPITEL – Bien, où en étions-nous ?
MIDNIGHT – Ma jambe droite.
ISKUPITEL – Non, vos yeux.
MIDNIGHT – Allons, si vous continuez, monsieur, il va falloir vous ouvrir un peu.
ISKUPITEL – Pour cela… pardonnez-moi, mais je manque d'huile depuis quelques jours.
DARLING – Et moi de courant. Mais ça ne m'empêche pas d'être active toute la journée !
ISKUPITEL – Dada, je t'ai déjà dit que j'avais bien plus besoin d'huile que toi de courant !
DARLING – Et bien si c'est comme ça, je demande le divorce !
MIDNIGHT – Rimi ? Et ce café ?
MEREDITH (
apparaît, un plateau plein à la main) – Thé, Mid.
MIDNIGHT – Je t'ai déjà dit que je n'étais nullement timide ! Je suis seulement… prudente. Voilà, prudente ! Lorsque le monde se tourne vers moi et veut me faire du mal, je ne suis pas timide, je suis prudente. Je sais où est le danger, je sais où sont mes ennemis ; et je m'en garde autant qu'il est possible. Si j'étais timide, je n'y pourrais rien. Mais regarde, regardez tous (
elle se lève), à quel point je me dresse face aux nécessités de la vie, face aux tics et aux tacs, voire même aux tocs, et à quel point je me dresse, ici, devant vous, pour faire savoir non ce que je sais mais ce que je veux savoir, non ce qui me guide mais ce que je veux comme Dieu. Et si vous doutez de ma bonne foi, si vous doutez de ma capacité à être prudente et non timide, sachez que voilà, je suis telle que je suis, et je ne peux me défaire de ce que je suis. Je ne suis pas grande, mais je suis belle. Sachez-le. Je ne suis pas intelligente, mais…
ISKUPITEL (
la coupe) – Excusez-moi, Madame, mais pourrions-nous parler de mon problème ?
MIDNIGHT – Oh, oui. Bien sûr. Dites-moi ce qui vous tracasse.
MEREDITH – Et le thé ?
DARLING – Et moi ?
ISKUPITEL – On m'a coupé la jambe, hier.
MEREDITH (
faisant tomber le plateau à terre) – Jarnidieu !
MIDNIGHT – Pasquedieu !
DARLING – En fait, ce n'est pas quelqu'un qui lui a coupé, il se l'est coupée lui-même.
MEREDITH – Tudieu !
MIDNIGHT – Palsembleu !
ISKUPITEL – Oui, enfin à la base ce n'était pas mon œuvre.
DARLING – Allons, te revoilà avec ta volonté de m'accuser.
ISKUPITEL – Oui, je t'accuse : tu m'as coupé la jambe !
DARLING – Allons, ce n'est qu'une illusion !
MIDNIGHT – Dites-moi plutôt ce que nous devons faire.
MEREDITH – Je vais chercher du thé.
MIDNIGHT – Cesse donc avec ton foutu thé ! On a un unijambiste, ici !
MEREDITH (
regarde intensément la fenêtre) – Hmm… Cela semble vrai.
MIDNIGHT – Bien sûr que c'est vrai ! Allez, va chercher du thé, maintenant, j'ai besoin de me calmer.
MEREDITH – Je… euh… certes.
MIDNIGHT – Oh, j'aime ce mot. Dis-le encore.
MEREDITH (
décontenancée) – Certes ?
MIDNIGHT – Pas comme ça, plus comme avant.
MEREDITH – Euh… Je vais aller chercher du thé. (
Elle sort précipitamment.)
MIDNIGHT (
criant) – Rimi ! Reviens ici !
ISKUPITEL – Et donc, ma jambe ne demandait rien, elle était tranquillement là, entre deux pamplemousses.
DARLING – Allons, Darling, laissez-les régler leurs problèmes d'abord.
ISKUPITEL – Allons, Darling, vous savez bien que je n'ai pas que cela à faire. Et puis les clients, c'est nous, pas elles. Si elles étaient professionnelles, elles feraient les choses bien. Mais je suis au regret de constater que ce n'est absolument pas le cas. Nous devrions nous en aller. Aller voir un chirurgien Tryba. Lui au moins me comprendra et pourra peut-être me soigner. Je ne vois pas pourquoi tu as voulu aller voir cette magnétiseuse étrange. Elle règle les problèmes de couples, pas les problèmes d'unijambistes !
DARLING – C'est un problème qui affecte notre couple, Pierre.
ISKUPITEL – Allons, tu délires. Je suis le seul à avoir perdu ma jambe, les tiennes sont encore là, sous ton capot.
DARLING – Certes.
MIDNIGHT (
s'écrie) – Ah ! Il était bien dit, là !
ISKUPITEL – Pouvons-nous travailler, à présent ? Accepterez-vous enfin de faire ce pour quoi nous allons vous payer ?
MIDNIGHT – Oui, bien sûr. Donc il vous manque une jambe. La droite, si j'ai bien compris ?
DARLING – Cela me semble plutôt visible.
MIDNIGHT – Certes. Comment était votre journée ?
ISKUPITEL – Amusante.
DARLING (
en même temps qu'Iskupitel) – Horrible.
ISKUPITEL – Allons, n'exagère pas.
DARLING – Je n'exagère pas, je dis la vérité. Elle n'a été amusante que pour toi.
MIDNIGHT – Donc pour Madame, ce fut horrible, et pour Monsieur, amusant ?
ISKUPITEL – L'inverse.
DARLING – C'est mauvais d'assumer les genres.
ISKUPITEL (
agacé) – N'en faisons pas tout un plat. Elle s'est trompée, voilà tout. Pouvons-nous revenir à ma jambe ?
DARLING – Ah ! Voilà ! Dès que l'on ne parle plus de toi, ça te gênes ! Tu es bien une fenêtre !
ISKUPITEL – Tu commences à me taper sur les charnières !
MEREDITH (
arrivant précipitamment, se cognant contre le siège et renversant les tasses) – Thé ! Ah, bon ! Pas thé.
DARLING (
se levant et prenant un air patriotique) – Pâté, vous dites ? Pâté ? Est-ce bien ce que j'ai entendu ? Pâté ! Le pâté lorrain ! Le pâté de mon enfance, cuisant côte à côte avec la quiche et la tarte aux oignons ! Je sens encore les effluves de pâte feuilletée, de porc et de persil ! La chaleur du four contre mes mains potelées, l'accent prononcé de ma douce mère ! La pluie dehors, qui frappe les carreaux ! Les assiettes de faïence sarregueminoise où sont posés amoureusement les spritz de Noël et le stollen !
MEREDITH (
apeurée et courant vers la cuisine) – Je...je vais refaire du thé.
MIDNIGHT – Pouvons-nous revenir, s'il vous plaît, à notre affaire ?!
DARLING – Excusez-moi, je n'ai pas l'habitude de quitter ma Lorraine natale.
MIDNIGHT – Bien. Mons...Pierre, parlez-moi de votre journée.
ISKUPITEL – Je disais donc qu'elle fut amusante. Je me suis levé, comme tous les matins, après le septième son de cloche de l'église. J'ai descendu les escaliers et comme tous les matins, j'ai réveillé Dada. Comme tous les matins, elle m'a injurié car elle n'est pas du matin, et comme tous les matins, je n'ai rien dit. Voyez vous, je suis respectable, je n'insulte pas les dames. Plus particulièrement lorsqu'elles sont âgées.
DARLING (
outrée) – Tu vas voir ce que tu vas prendre quand on sortira d'ici, goujat !
MIDNIGHT – Du calme Madame, je vous prie !
ISKUPITEL (
respirant calmement) – Je suis ensuite descendu dans la cuisine où j'ai mis l'eau à chauffer. Je ne m'occupe jamais du thé, c'est Dada qui le fait. Elle est assez maniaque sur ce point.
DARLING – De toute façon, tu le rates toujours. Tu ne sais pas bien disposer les feuilles. Et si je puis me permettre, Madame, votre servante est bien mauvaise. Son thé me semble infusé plus qu'il ne faut et elle utilise trop de feuilles pour trop peu d'eau.
MIDNIGHT (
décontenancée) – Et bien, hm, je lui ferai passer le message.
MEREDITH (
faisant une entrée fracassante et criant) – Que dites-vous ? Que dites-vous ?! Allons, voilà que la gourgandine critique mon thé ! Ma chair, mon œuvre !
DARLING – Oui, je le dis haut et fort ! Votre thé est mauvais !
MIDNIGHT – Mesdames, je vous prie, calmez-vous et revenons-en à Mons...Pierre.
MEREDITH (
posant une tasse devant Darling) – Ça, trop infusé ? Goûtez-le avant de juger !
ISKUPITEL (
continuant de parler après avoir soupiré longuement) – Après ça, j'ai voulu sortir le pain mais je me suis rendu compte que nous n'en avions plus. J'ai donc prévenu Dada et je suis allé à la boulangerie. La boulangère m'a donné un pain rond, elle était en rupture de baguette.
DARLING (
portant la tasse à ses lèvres et prenant un air écœuré) – C'est le pire Darjeeling que j'ai goûté jusqu'ici ! Il sent la terre, c'est infect !
MIDNIGHT (
se pinçant l'arête du nez et fronçant les sourcils) – Mons...PIERRE. Pouvez-vous en venir aux faits ?
MEREDITH – Mid ! Mid ! Tu as entendu ? Elle dit que mon thé est infect !
DARLING (
se levant et allant vers la cuisine) – Je m'en vais le faire moi-même si c'est comme ça ! Je ne peux plus supporter cette situation !
MEREDITH – Reviens ici, grisette ! Catin ! Garce !
ISKUPITEL – Les faits ? Ah, oui, les faits ! C'était vers une heure de l'après-midi. Je prenais mon café, car, voyez-vous, le matin je bois du thé, l'après-midi du café et le soir, du cognac. J'ai eu comme des fourmis dans la jambe, la droite précisément.
MIDNIGHT – Ah ! Celle que vous n'avez plus, donc.
MEREDITH (
sanglotant) – Mid, ma Mid, moi qui t'ai toujours défendue, tu ne fais rien...
ISKUPITEL – Exactement. Donc ça m'a chatouillé, c'était assez gênant. Alors j'ai crié : « Saperlotte, Dada, as-tu vu ma jambe ? »
MEREDITH (
prostrée, pleurant à chaudes larmes) – Je savais bien que de toute façon Mid – que dis-je, Gno – n'a jamais fait vraiment attention à moi... Ô tristesse ! Ô trahison filiale !
ISKUPITEL – Et donc... vous ne voulez pas la faire taire, la demoiselle qui ne sait pas faire de thé ?
MIDNIGHT – Allons, un peu de respect. Dites-moi plutôt qui vous a coupé la jambe.
ISKUPITEL – Personne en particulier, je dirais.Elle était là, entre deux pamplemousses, et ensuite elle n'y était plus.
MIDNIGHT – Et quand vous en êtes-vous rendu compte ?
ISKUPITEL – Mes comptes je les fais toutes les semaines.
DARLING (
faisant irruption depuis la cuisine) – Et voilà du bon thé ! Je n'ai pas trouvé de biscuits périmés, alors j'en ai commandé, ils devraient arriver.
MEREDITH (
se jetant sur Darling) – Ne faites pas boire votre impie mixture à ma douce Mid !
DARLING (
tombant, renversant le plateau, les tasses de thé pleines s'envolant vers Iskupitel) – Attention, Isku, c'est brûlant !
ISKUPITEL (
recevant une tasse dans les yeux) – Saperlotte, la température est bien peu régulée !
MIDNIGHT (
se penchant vers Iskupitel.) – Vous allez bien, Pierre ?
ISKUPITEL – Oh oui, tout va bien. Cela m'a aveuglé, voilà tout.
DARLING – Pierre, ça va, Pierre ? Je suis désolée !
ISKUPITEL (
relativement agacé) – Puisque je vous dis que je vais bien ! Me voilà simplement aveugle et unijambiste, c'est tout.
MEREDITH – Ça vous fait une belle jambe.
MIDNIGHT (
outrée) – Rimi !
MEREDITH – Avouez que c'était bien placé.
DARLING – Oh, vous ! C'est de votre faute si ma femme ne voit plus ! Puterelle !
MEREDITH (
se jetant aux pieds de Midnight) – Gno, ma douce Gno, ne me défends-tu pas ? Elle me traite de coureuse de remparts ! Elle insulte notre famille !
MIDNIGHT – Toute cette histoire me court sur le haricot, si vous me permettez. Je ne vois pas où je pourrais vous être utile puisque Pierre a visiblement besoin d'un médecin et pas d'une conseillère conjugale. D'ailleurs, une psychanalyse ne vous ferait aucun mal, au contraire. Votre fétichisme de jambe m'est profondément inconfortable et je suppose qu'une grande partie de la gente féminine pense comme moi. Sur ce, je me retire.
DARLING (
choquée et se tournant vers Iskupitel) – Est-ce que tu as entendu cette gouge ? Ne contrecarres-tu pas Isku ?
ISKUPITEL (
haussant les épaules) – On trouvera quelqu'un d'autre. Nous sommes certainement trop évolués pour son cerveau de pouilleuse.
MEREDITH – Gno n'est pas une pouilleuse ! Gno ! Gno ! Ils nous insultent dans notre dos !
MIDNIGHT (
se levant) – Si tu savais comme je m'en fiche, Rimi. Ils sont complètement fous, il ne faut pas leur en vouloir.
MEREDITH – Nous avons perdu tellement temps, tellement d'argent ! Fais-les souffrir un peu au moins !
MIDNIGHT (
se rasseyant subitement) – Tiens, tu me donnes à réfléchir, douce Rimi. Quelle heure est-il ?
MEREDITH – Il est dix heures passées, Gno.
MIDNIGHT – Quand avons-nous commencés ?
MEREDITH – Aux alentours de huit heures, Gno.
MIDNIGHT – Bien, bien. Je vous arrondis à deux heures et demi.
DARLING – Mais ! Vous n'avez rien réglé ! Nous n'allons pas payer en plus !
MIDNIGHT – Ça fera deux cent cinquante quatre euros. Sans compter les taxes. Je vous laisse calculer, je suis fatiguée.
ISKUPITEL – Excusez moi, Mademoiselle, mais il est hors de question que je paye pour un service que l'on ne m'a pas rendu.
DARLING – J'appuie Pierre.
MEREDITH – Hé ! Nous avons perdu assez de temps. Partez et laissez-nous faire notre thé à notre sauce.
DARLING (
prenant un air dégoûté) – À ce point là, ce n'est plus une sauce, c'est un blasphème.
MIDNIGHT – Deux cent cinquante quatre euros, je vous prie.
ISKUPITEL – Je ne paierai pas tant que vous n'aurez pas réglé notre problème !
MIDNIGHT (
exaspérée, au bord de la crise de nerfs) – Mais votre problème est mental, Pierre, bon sang ! Ne voyez-vous pas que vous êtes complètement fous ? Dingues, ravagés, demeurés ! Allez voir un psychologue, analysez-vous vous-mêmes avant d'analyser votre couple ! Vous n'êtes pas un problème, vous en êtes deux ! Vous n'avez aucune logique, vous ne faites que bavasser, brasser de l'air en me regardant comme si j'étais le Messie alors que je dois déjà me traîner une douzaine de dossiers de divorce et une sœur complètement ignorante (et incapable de faire du thé) ! Ne voyez-vous pas que je suis éreintée et que je ne veux que me reposer avant d'accueillir mes prochains clients ? J'ai déjà assez perdu d'argent, payez et laissez-moi tranquille, nom de Zeus !
MEREDITH (
retenant ses sanglots) – Ignorante ? Tu as bien dis ignorante ?
DARLING (
pleurant sur sa chaise) – Je ne suis pas folle, je veux juste que mon couple soit sauvé ! Pitié, j'aime ma femme plus que tout !
ISKUPITEL – Je sais bien que tu m'aimes, Erika, mais ça ne rapportera pas ma jambe.
DARLING (
le regardant avec amour et surprise) – C'est donc vrai ? Tu m'aimes encore ? Oh, Pierre ! Je n'y croyais plus ! Avec cette histoire de jambe !
ISKUPITEL (
regardant du mauvais côté et cherchant Erika avec ses mains) – Mais bien sûr que je t'aime. C'est la faute des pamplemousses, je croyais que nous étions d'accord sur ce point.
DARLING – Mais alors pourquoi sommes-nous venus ?
ISKUPITEL – À cause de ma jambe.
DARLING – C'est ta jambe qui a besoin de conseils ? Excuse-moi mais je ne comprends plus très bien.
ISKUPITEL – Et bien, ça me semble logique, non ? Depuis qu'elle est seule, son couple ne se porte pas très bien.
MIDNIGHT (
complètement désespérée, se tapant la paume de la main contre le front) – Vous êtes venu pour votre...jambe ?!
MEREDITH– Mais vous avez parlé d'un problème de couple !
ISKUPITEL – Certes, certes, il se peut que je me sois mal exprimé. Mais, voyez-vous, mes jambes sont un couple, et cela est indéniable.
DARLING – Chérie, je pense que nous devrions rentrer et essayer d'attraper les pamplemousses tant qu'ils sont encore là. Tu sais qu'ils n'aiment pas la nuit.
ISKUPITEL (
fronçant les sourcils puis se relaxant) – Je crois que tu as raison. Je me suis donné mal à la clenche avec toute cette excitation.
DARLING (
prenant la main d'Isku et le menant vers la sortie – Non, pas par là, Pierre. Voilà, suis moi.
MIDNIGHT (
se retrouvant seule avec Meredith – Il est venu pour sa...jambe ?
MEREDITH – Gno, ça va ?
MIDNIGHT (
éreintée) – Sa jambe...tout ça pour sa stupide jambe...
MEREDITH – Gno, ils n'ont pas payé.
MIDNIGHT (
revenant à la réalité) – Rimi, va me faire une aspirine, tu veux ?
MEREDITH (
se dirigeant vers la cuisine) – Comme tu voudras, Gno.
Le rideau tombe, embrassant les cernes creusées de Midnight révélant son exténuement.