Je ferme les yeux et je vois la nuit étoilée.
J’ouvre les yeux et je ne vois rien. Seul le plafond de la chambre dans laquelle je suis enfermée.
Je ferme les yeux et je vois l’ombre des montagnes à l’horizon, la lueur argentée de la lune éclairant un chemin qui s’éloigne d’ici.
J’ouvre les yeux et je me retrouve à nouveau séquestrée. Méchante réalité.
Alors je ferme les yeux et décide de suivre ce chemin. Si je peux m’enfuir, même en rêve, autant en profiter. L’allée serpente entre les arbres puis disparaît derrière un grand rocher. Je suis le sentier sinueux vers une liberté incertaine. Je ne veux pas me réveiller. Pourtant je ne dors pas, je le sais. Ces images, je les connais. Je connais la suite, j’en suis sûre.
Quelques pétales sont portés par une brise légère qui me caresse le visage, fait voler mes cheveux. Je savoure le silence de la forêt, le calme de la nuit. Pour la première fois depuis des années, je n’étouffe pas dans cette satanée cave où je suis confinée. Je m’échappe enfin de cette prison noire. Je prononce mon nom et je m’en délecte. Si longtemps que je ne l’avais pas entendu. Je me laisse guider, où qu’aille cette route, j’y serai toujours mieux qu’enfermée dans la cabane. Je me roule dans les fougères, et qu’importe si je salis ma chemise, qu’importe si je me griffe dans les ronces, je suis enfin dehors. Je profite de la douce chaleur estivale qui me réconforte. Tant de temps dans cet enfer m’a fait oublier tout mon passé. Ce soir, je me rappelle. Je me rappelle de ma famille, des grands repas qu’on faisait. Je riais. Aujourd'hui je ne me souviens plus de cette sensation. Je voudrais apprendre à rire, à pleurer, à vivre à nouveau, comme avant, comme une personne normale. Quand pourrai-je revivre ? Qu’y a t-il au bout de cette voie ? Le chemin est à présent plus étroit, si bien que je ne suis plus certaine de le suivre. Je me demande si je pourrais un jour redevenir celle que j’ai été, avant tout ça. La piste s’est maintenant dissipée et je me sens perdue, vidée de mon énergie. Je meurs d’envie de retrouver ma maison et tout ce que j’avais, mais j’ai peur que rien se soit comme autrefois. Que se passerait-il si je réapparaissais, tout à coup ? Quels dégâts a entraîné ma disparition ? Toutes ces questions me harcèlent, dans cette forêt où j’erre, posant mes pieds au hasard. Je voudrais oublier. Je ne veux pas me souvenir. J’ai peur, les ombres qui se dressent autour de moi me terrifient. Je ne me repère plus dans cette immensité, la lune n’éclaire plus les parages et les étoiles se sont éteintes.
Je distingue quelque chose au loin. Je m’approche, les larmes aux yeux, la peur au ventre. Je mets longtemps à l’atteindre, je voudrais courir mais je n’ai pas assez de forces pour ça. Ce que je voyais est en fait une cabane. La cabane. Je veux partir, il faut que je parte. Mais au lieu de ça, je frappe à la porte. Je veux prendre mes jambes à mon cou mais mes membres n'obéissent pas. La porte s’ouvre et je le vois. Je m'efforce de me calmer, mais je n’y arrive pas. Dans un miroir au fond de la pièce, j’observe mon reflet, je me concentre sur mon visage. Mais quand il approche la lumière de ma figure, je la vois. J’étouffe un cri. Car ce visage que la glace me renvoie, ce n’est pas le mien…
| Je m'efforce à => de la glace me renvoi => renvoie |