Je vais commencer par faire ce que je trouve absurde : compter les pieds. Je pense qu'un poème n'a pas besoin d'être régulier pour être beau mais je pointe quand même tes petits écarts pour que tu en prennes conscience si tu veux absolument une métrique parfaite
"Et alors on discute, comme un couple de vieux" => 13 syllabes
"J'ai peur qu'il ne l'emporte, cet enculé de Al" => 13 syllabes (en plus "d'Al" est à mon sens plus agréable à l'oreille)
"Il m'est indispensable, malgré tout anonyme" => 13 syllabes
Il y a aussi quelques liaisons qui pourraient être faites et risqueraient de te donner un pied de trop, mais je t'accorde que c'est discutable, je ne sais pas si la règle veut qu'on fasse toujours les liaisons ou pas (et de toute façon tu n'es pas tenu de la respecter) :
"Des questions s'offrent à moi, je ne peux y répondre" => ("so-ffre-ta-moi" => 13 syllabes)
"Je ne sais d'où elles viennent, elles surgissent des ombres" => ("vie-nne-telles" => 13 syllabes)
"Après ces longues années, j'apprends à écouter" => ("lon-gue-za-nées" => 13 syllabes)
Bon, maintenant que je me suis débarrassée de cette broutille, entrons dans le vif du sujet !
Globalement, j'aime vraiment beaucoup. Le ton du poème est très beau, très doux, un peu mélancolique, tout ce que j'aime.
"Combien faudrait il que je craque d'allumettes
Pour enfumer la pièce, tirer la gâchette ?"
J'aime beaucoup ces deux premiers vers, ce qui se cache derrière c'est un peu un "Comment c'est la mort ?", mais comme un question d'enfant qui se pose juste la question sans nécessairement penser à en finir (du moins c'est comme ça que je le vois). C'est un regard innocent sur le danger. Le "Combien" me plaît aussi parce qu'il donne à la mort un côté mathématique et, comme tout ce qui est dénombrable est mesurable, ça donne un côté rassurant à la chose. Je me pose juste une question : peut-on dire "tirer la gâchette" ? J'aurais naturellement mis : "tirer sur la gâchette", mais je ne suis pas spécialiste de la langue française
"Mon cerveau est étrange, il discute avec moi"
Là encore, il y a l'idée que ce n'est pas grave, juste bizarre (et en soi, on ne peut pas contredire cette position). La personnification du cerveau me plaît beaucoup.
"Ce murmure incessant ne peut plus se cacher"
J'aime moins ce vers sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi, je pense que le sujet ne me convient pas. Peut-être que c'est tout simplement une question de ponctuation. Tu en es assez avare et parfois ça gêne un peu la lecture. La ponctuation continue même dans les vers, tu as donc tout à fait le droit de terminer un vers par une virgule ou par un point (sans en avoir l'obligation). Sans signe de ponctuation entre "J'apprends à écouter" et "ce murmure", on dirait que les deux vont ensemble, ce qui est déstabilisant quand on comprend que "ce murmure" est sujet d'une nouvelle proposition.
"Sur tout et surtout rien, et là je l'impressionne"
Le début est bien mené : "Sur tout et surtout rien", c'est un joli jeu poétique. J'aime moins le "et là je l'impressionne" qui est un peu moins poétique et un peu plus oral.
"Dans ces nuits d'insomnie, quand je suis dans mon lit
Ou ces moments calmes, quand le canna a pris"
"Quand je suis dans mon lit" me semble un peu plat, je pense que c'est à cause du verbe être. Peut-être essayer avec un verbe plus imagé style "je me retourne dans mon lit", "je soupire dans mon lit", "je songe dans mon lit", etc. J'ai conscience que trouver un verbe d'une syllabe risque d'être difficile ^^
Par contre "quand le canna a pris" c'est cool, ça ajoute un peu de fumée et un peu de rêve, c'est joli
"Nous sommes très sereins, en harmonie tous deux
Et alors on discute, comme un couple de vieux"
Le passage de "nous" à "on" m'a un peu déstabilisée, mais finalement ce n'est pas dérangeant, c'est une progression dans l'intimité. Et j'adore l'image du couple de vieux !
"C'est mon plus vieil ami, ce cortex cérébral
J'ai peur qu'il ne l'emporte, cet enculé de Al"
"cet enculé de Al" (que je remplacerais par "cet enculé d'Al") c'est drôle, on dirait un nom de gangster, j'ai mis tellement de temps à comprendre de quoi il s'agissait ! En tout cas c'est bien trouvé comme rime, j'approuve !
"Pourtant même mes cernes, elles ont un patronyme"
Je ne suis pas fan de cette redondance syntaxique "mes cernes, elles". A la limite, je la digérerais mieux si "elles" était entre deux virgules : "mes cernes, elles, ont un patronyme". Mais du coup ça ne va pas avec le "même"... Je ne sais pas quelle solution proposer
"je te fais ton baptême"
Le verbe "faire" est assez plat, surtout associé au baptême. Je ne sais pas par quel mot plus théâtral et cérémonieux tu pourrais le remplacer : "Je célèbre ton baptême" est un peu lourd peut-être, mais tu vois l'idée. En poésie il faut éviter les verbes "être", "faire", "dire" (ainsi que d'autres que je n'ai pas en tête. A noter que ça reste discutable, ça peut simplifier un poème).
"Tu seras donc Pablo, j'espère que tu aimes"
Pablo le cerveau, c'est joli ! En tout cas, en donnant un nom à quelque chose, le narrateur rappelle encore une fois ce qu'il y a de rassurant à nommer les choses, comme au début où il cherchait à quantifier la mort. Voilà pourquoi j'aime ce qui se dégage de ce poème.
Bravo à toi, tu n'avais vraiment pas à douter parce que tu écris vraiment bien. J'espère que mon commentaire t'a été utile, au plaisir de te lire de nouveau