Suivant, regard rêveur, la fourchette d'argent s'immiscer dans ma bouche, je savoure sous mon palais le goût majestueux des mogettes. Elles s'immergent peu à peu, se perdent, puis disparaissent ; et pendant que le temps s’arrête, je me rappelle.

Je le revois s'approcher de moi lentement, son corps contre mes mains, ses paumes contre mes hanches. Je le fixe avec envie, affamé de lui par son odeur d'une saveur brute, la douce amertume de son regard, la chaleur de sa peau humectée. Il me regarde, je le regarde, sentant ses lèvres fines approcher les miennes, dans un fébrile effleurement, goûtant timidement à cet unique premier baiser. Doux, humide et salé à la fois. Et court. Alors une fois achevé, j'en redemande, encore et encore. Le régal d'un instant au goût inoubliable, à la saveur inimitable, comme un plat de haricots blancs.

Dehors, le ciel est gris, le vent est calme. Je pense encore à lui, finissant mes mogettes, le spleen au fond de mon âme. Chaque jour je mange à nouveau ce plat unique ; chaque jour je me rappelle cet unique baiser, au croisement des regrets, chaque jour je me rappelle cet homme unique, cet homme parfait, qui une fois fut mon amant.

Une seule fois.