Je me souviens lorsque je t'ai adressé la parole. Je me souviens lorsque tu m'as répondu, arborant un demi-sourire. Là, j'avais vu une profondeur inattendue. D'une beauté discrète tu étais soudainement devenue une personne intéressante. De l'ombre tu avais surgi, de la fange tu t'étais écartée. De l'éclat blanc de tes dents sortit une personnalité complexe et juvénile qui, l'espace d'un instant, te fit paraître à la fois plus jeune, plus pure que quiconque, et plus âgée, plus mature.
Je me souviens lorsque j'ai suivi tes instructions, lorsque je t'ai fait rire, d'un rire souriant et franc qui semblait être lavé de tout passé. Tes yeux plissés scintillaient si fort que je ne pouvais plus te regarder. D'une beauté interdite tu étais soudainement devenue un monument phallique se dressant fièrement, faisant fi des courants aériens. Au sein de cette salle comble, tu t'étais élevée, et sous les rayons d'une lumière immaculée tu t'étais imposée à mes yeux, à ma pensée, à mon cœur.
La voilà à présent, à quelques pas de moi, refusant obstinément de regarder dans ma direction, de me faire un signe ou même de prendre ma présence en compte. Me voilà, moi, coi, pantois. Ses cheveux ramenés en queue de cheval dégageant son front. Pourtant, je ne sais comment, mon regard ne peut l'atteindre, ne peut se poser sur son visage, ne peut s'en approcher.
La voilà qui s'éloigne, qui se détourne de moi, plus encore que jamais, qui s'approche d'une amie, qui échange des banalités. Il semble que le temps soit beau, que les oiseaux soient jolis, qu'un chat soit sur un toit, qu'une grille soit mal fixée, qu'une plante ait été abîmée, qu'une voiture soit mal garée, qu'un garçon soit malade, qu'une fille soit mal habillée, qu'une pierre ait été déplacée, que les voiture bouchonnent, qu'un groupe fume de l'herbe, qu'une averse se prépare, qu'un enfant soit divertissant, qu'une goutte la touche, que l'amie doive s'en aller.
La voilà de nouveau, hésitant entre deux directions pour m'échapper, regrettant d'être ici, agitant ses jambes comme pour s'échauffer. Mon cœur se meurt, saignant, saigné, devant une telle demoiselle, à cheval entre sa fierté et sa gêne de m'avoir ainsi mis à genoux.
J'aime tes boucles d'oreille. J'aimerais pouvoir te le dire. Hélas, je sais que toute parole lancée vers ces bijoux sera repoussée ou emportée par le destin. M'en contenté-je ? J'y suis bien obligé. Autour de moi, tout se vide, tout s'évapore, et toi seule survis.
Je me demande comment les choses sont devenues ce qu'elles sont aujourd'hui. Je suis plongé dans l'incompréhension, dans l'ignorance, dans l'obscurité des barbares. Ai-je fait, Ô Déesse, quelque chose pour provoquer ta colère ? Dois-je t'implorer pour invoquer ta miséricorde ? Est-il une chose en ce monde qui se pourra te contenter ? Non. Je le sais bien, et toi aussi. Tu n'as rien fait en ma faveur, j'ai pris sur mes épaules tout le poids de ton désir, toute la pesanteur de ton amour, toute la masse de tes sentiments. Si, je dois l'avouer, mon amour était au moins équivalent au tien, ta responsabilité est incontestable. Ô dame, voilà la conséquence de ton existence. Te voilà accablée par le remords du sort jeté. Aurais-je pu l'éviter ? Diable non ! Tout provient de toi, je ne fus qu'un lama rouge ne pouvant plus voler, enchaîné qu'il était à tes moindres sourires. Tu m'as maudit, te voilà récompensée. Souffres-tu ? me voilà heureux. Saignes-tu ? me voilà ivre. Te meurs-tu ? me voilà comblé. À l'image ternie d'une femme engrossée, je te somme de prendre tes responsabilités. Cette souffrance infligée, à ton tour tu la ressentiras. Cette existence brisée, c'est toi qui la répareras. Quoi de mieux qu'une vengeance pour obtenir des réparations ?
Enfin, ton sourire se relève, tes pommettes se soulèvent, tes lèvres s'élèvent. Mais il est trop tard, et tes yeux te le disent. Ton sourire se dirige, d'un pas mal assuré, vers mon cœur ; mais il est trop tard, et mon cœur te le dit. Tes pieds te mènent aux miens ; mais il est trop tard, et le ciel te l'a dit. Peux-tu donc imaginer que je t'oublie si vite ? Toi très chère, te voilà au bord du ravin, à mi-chemin entre le terre et l'Enfer. Je suis plus fort que ce que j'étais ; je ne suis plus à tes pieds.
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- Après-propos:
Dixième texte souriant !
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