Je tiens à respecter cette tradition, elle m'a déjà donné énormément de repères quant à l'évolution de ma plume et de mon état d'esprit ~ Navrée pour le manque de structure, j'ai voulu faire un effort mais je n'ai pas eu le temps d'installer une cohérence qui puisse satisfaire le lecteur lambda. C'est le "je" lyrique de Meredith qui parle, et il a fumé des cours de poésie.
Il y a une semaine, Monsieur D. et moi avons fait l'amour pour la première fois. Notre étreinte était contenue en germe depuis deux mois, notre désir depuis un an, depuis les premiers mots que je lui ai adressés : « Je ne vous avais pas remarqué ».
Il n'y a pas eu d'avant ni d'après, et pourtant si. Ce n'était pas le monumental changement qui modifie la manière dont les gens marchent, ni la fin du volcan. Il n'y avait pas eu d'explosion nécessaire, il y avait eu la conscience d'une lente extinction.
Cette nuit, ce matin-là, Monsieur D. ressemblait à une femme plus que jamais. Nous respirions ensemble, à l'intérieur de l'autre, comme deux pulmonata. C'était la fusion des sangs et des sens, une fusion d'essences. Baudelaire avait eu tort, ou plus exactement avait omis que la beauté procurait elle aussi une jouissance apaisée.
J'ai compris que je voulais écrire. Je le sais depuis si longtemps que je l'avais oublié. Je caressais pudiquement cette idée en arrangeant des syllabes, en rêvant à un état de transe, en triturant un diamant que j'avais, planté dans le cœur.
Je cherchais, entre l'abeille, le voyant, le mage, le gueuloir, le fumeur, la fumée, entre une réalité distordue, parallèle, sublimée, passée, rêvée, entre les rimes, les tirets, les néologismes, les silences, les soupirs ; je voulais être poétesse, c'était une idée absurde : aujourd'hui, je veux être poésie. C'est sans doute un projet ambitieux, mais je sais que j'y parviendrai, parce que c'est ce que Monsieur D. cherchait à me faire dire sans le savoir.
Si pas une ligne n'émerge de cette certitude, cela n'a pas d'importance. J'ai écrit des poèmes entiers par ma seule venue au monde. J'existe depuis des siècles et je ne mourrai jamais, Monsieur D., je n'ai plus peur de mourir. Ce n'est pas la prétention d'un individu, je suis l'expression du moi de tous les êtres, je suis toutes les vues que l'on a de toutes les fenêtres.
J'ai aimé, je me suis jetée à corps perdu dans d'autres corps en pensant que je n'existais pas hors de ces enveloppes charnelles, en sachant pourtant que j'étais ailleurs. Tendre vers l’évanescence, c'était en fait tendre vers le sans accès, vers l'ineffable.
C'est une expérience intérieure que personne n'a besoin de lire, que personne ne va comprendre, que personne ne peut commenter. Il faut savoir quand s'arrêter, ne pas presser le citron de l'illumination pour en tirer un mauvais jus. Peut-être qu'un mot, un blanc sur la page suffit à exprimer ce qui me contraint à écrire.
Je me suis tue pendant longtemps, c'était pour mieux comprendre. Monsieur D. aime quand je sors d'entre ses cuisses, les cheveux ébouriffés, les yeux grands ouverts et la bouche trempée.