Ce n'est pas ma meilleure pièce et certaines choses sont sûrement encore à améliorer, mais je l'aime bien comme ceci.
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DIDON
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Tragédie pour une Reine
Personnages
ÉNÉE, Rescapé de Troie ;
ANCHISE, Père d'Énée ;
DIDON, Reine de Carthage ;
IARBE, Roi de Numidie.
ACTE I
Scène 1
Énée débarque sur la plage, avec son fils à la main et son père sur les épaules.
ÉNÉECarthage, me voilà !
ANCHISE
Mon fils, posez-moi donc.
Je ne puis davantage me plaindre d'un moignon
Qui ne vous aide point à devenir un Roi.
Vous représenterez ici la belle Troie.
Agissez comme un Prince, exhibez seulement
Votre enfant, car c'est lui qui est notre avenir.
Mariez-vous, soyez Roi, et marquez votre temps.
Là est votre destin. J'ai un jour ouï dire
Que cette Cité vit et prospère sous le Règne
De la grande et belle Didon, reine immortelle,
Dont les cheveux d'ébène sont offerts à l'autel.
Alors qu'au loin paraissent les rives de Sardaigne,
Nous avons échoué chez les Carthaginois.
Serons-nous malotrus, serez-vous futur Prince ?
Si quiconque le sait, moi je ne le sais pas.
Soyons, très cher enfant, humbles : passons la since.
Ainsi vous obtiendrez ce que vous méritez,
Et serez apte à dire que vous me remerciez.
ÉNÉE
Au-dessus de nos têtes reste Poséidon.
Je vais sur-le-champ voir cette Reine Didon.
Scène 1
Énée et Didon parlent dans une pièce.
DIDON
Mon beau seigneur, ami, dites-moi donc comment
De cette admirable et magnifique cité
Vous fûtes ainsi que votre père et votre enfant
Sur nos beaux rivages de sable rejeté ?
ÉNÉE
Mon roman ne pourrait suffire à tout décrire
Et ce récit ne glorifierait nos héros.
L'horreur qu'apportaient nos ennemis dans leurs rires
Et de ces guerriers je ne serai le héraut.
Ainsi donc, chère amie, je ne pourrai vous dire
Ni vous conter ce que mon peuple a enduré
À l'arrivée d'Agamemnon, ce triste Sire,
Qui ravagea toutes nos côtes l'épée tirée.
Et dès lors je vais chercher de nouveaux domaines
Pour établir en de nouvelles contrées les lares
De ma Patrie. Je cherche encore à perdre haleine
Et malgré le temps passant, je conserve espoir.
DIDON
Je suis désolée de vous causer si grand peine
À votre cœur exposé à bien des malheurs.
Je pleure vos aïeux ainsi que vos marraines
Pour vous avoir quitté avant la fatale heure,
Rejoignant les cieux et les Dieux, vous attendant
Dans la plus pure des gloires immarcescibles,
Vos vénérables ancêtres les rejoignant
Et rendant ainsi leur vénération possible.
Essayez tout de même, vous en supplie
De me conter le récit des flammes sur Troie.
Il me plairait d'entendre le bois qui se plie
Et le fracas des armes tandis que je bois.
Contés par vos soins, je suis persuadée que
Les horreurs belliqueuses du sac d'une ville
Pénétreront mon esprit, ma tête si bien que
Je pourrai reconnaître ce lieu entre mille,
Me fiant seulement aux sons et aux images
Que vous me décrirez avec beaucoup de faste,
Mais point trop de mensonges ou de mirages :
Monsieur je vous en prie pas d'influence néfaste.
ÉNÉE
Lorsque les Grecs ligués entrèrent dans la ville,
Aidés dans leur attaque par un subterfuge
D'un de leurs preux seigneurs, Ulysse le subtil,
Tous ces vils traîtres avaient un cheval pour refuge,
D'où ils sortirent, assoiffés de mort et de sang,
Décidés à piller Troie et à assassiner
Hommes, femmes et enfants dans leurs beaux lits dormant.
Les destructeurs de leur fière et grande cité
Violaient, tuaient, brûlaient faubourgs, palais, temples.
Tandis que moi, Énée, fuyais portant l'épée,
Mon dos voyant se perdre les vêtements amples
Faits de lin, de soie, de somptueuses beautés.
Scène 2
Didon, seule dans une pièce, assise, se lamente, éplorée.
DIDON
Le soleil brille de mille feux dans les cieux
Mon amour dérobé puisse-t-il être guidé
Par le désir et la volonté de nos dieux
Portant son père depuis longtemps bien ridé.
Je contiens cependant la fureur qui m'anime,
Me découvrir moi-même et déclarer mes feux
En déguisant encor mon dépit légitime.
Je ne puis parler de mon amour malheureux.
IARBE
Entre dans la pièce et s'avance vers Didon.
Est-ce donc de moi qu'ainsi vous parlez, ma chère ?
Ces propos sortant de votre bouche m'émeuvent
Et peu à peu mon amour envers vous se libère ;
Et j'attends de votre cœur si beau une preuve.
Il fait une pause en voyant sa dulcinée éplorée, puis reprend.
Dites-moi donc la cause de tous vos tourments.
Je vois que votre cœur est chargé d'une peine
Indescriptible, lourde et vous bouleversant.
Que se passe-t-il dans votre esprit de Reine ?
DIDON
Mon cher, ma politesse n'est qu'une façade,
Et mes mots sont aussi durs et froids que les pierres.
Les malheurs sont tombés sur moi en cascade,
Et votre piètre insolence aussi vile que fière
Me blesse profondément. Partez ! Oui, partez.
Je suis lasse de ceci autant que de vous.
IARBE
Il faut donc que je vous aime pour accepter
Ce qui atteint mon cœur plus durement que des coups.
Il s'en va, tête baissée, épaules voûtées et saluant Didon, à la manière du courtisan qu'il est.
Scène 3
Énée sur la place où il vient de débarquer pour rejoindre Didon.
ÉNÉE
Dieux que le Vent souffle dans mes boucles dorées
Grandissant malheureusement marées et vagues,
Portant l'appel de détresse d'une éplorée,
Que je peux percevoir. Elle attend une bague,
Et sans tarder je la lui porterai, pensant
Que la vie ne fait aucun cadeau, que les Dieux
Si avides de sacrifices ne pouvaient tant
Voir dans le lointain, car ils avaient besoin d'yeux
De mortels capables d'agréablement voir
Si l'homme, par le Dieu en question possédé
Peut apercevoir le divin dans un miroir.
Je me languis ainsi d'être loin de mon cœur,
Transpercé de part en part de flèches d'argent,
Qui cruelles me font du mal j'en ai peur,
Et déchirent mes veines font couler mon sang,
Car au-delà de l'océan j'entends toujours
L'appel, le cri de la dame de mes pensées
Qui me somme tacitement de jour en jour
De revenir et de sa main lui demander.
IARBE
Rencontre Énée sur la plage.
Holà mon ami ! Dites-moi donc ce que vous
Faites sur notre terre, pour vous étrangère,
Qui de droit m'appartient, car je serai l'époux
De celle qui me fut promise par son père.
Vous l'aurez compris, c'est Didon qu'ici j'évoque,
Cette Didon qui ne vous a point retenu,
Celle qui, hélas pour vous, vous trouve équivoque.
En partant d'ici, vous lui avez tant déplu
Qu'elle souhaite jusqu'à ne plus jamais vous revoir.
Trépassez Dardanien rescapé d'une ville
Dont la reconstruction est œuvre sans espoir
Surtout si le projet est d'un être si vil !
Et vil vous l'êtes pour sûr, chien immonde, galeux,
Dont la Rage autour de lui fane Faune et Flore.
Que votre colère se déchaîne comme elle veut,
Car mon être tout puissant ne craint pas la Mort.
ÉNÉE
Courroucé, hors de lui et sortant son glaive.
Quels propos indignes d'un homme vous tenez !
Qu'Hadès vous damne et vous emporte dans les Enfers !
Taisez-vous, par Héphaïstos, ou vous mourrez !
Monsieur je m'insurge, vous goûterez au fer !
Et que Mars, Dieu de la Guerre, guide ma Lance !
Il jette sa lance mais elle n'atteint pas Iarbe.
IARBE
Vous dites de mes mots, mais que sont donc vos gestes ?
Vous mériteriez de danser à la Potence,
Pour que votre cadavre sur les routes empeste.
Si je peux me permettre, votre œil est berné :
Vous n'arrivez même plus à lancer un pilum !
Le Dieu de Guerre n'a que faire de vous, Énée.
ÉNÉE
Ayant repris son calme, commence à ironiser.
J'irai faire mes excuses sur le Forum
En s'inclinant, le sourire aux lèvres.
Au plus grand seigneur et futur Roi de Carthage,
Dont la grandeur étincelante nous surpasse.
Ô mon grand Prince, le plus beau de tous les âges,
Votre Or est comparable à celui de Midas !
IARBE
Ainsi, cher ami, vous devenez raisonnable !
Vous esprit ne s'égare plus en de vains lieux,
Et vous me promettez une amitié durable,
Sous le regard et l'égide de tous nos Dieux.
ÉNÉE
Se reculant.
Vous vous méprenez, prince digne des Enfers.
Mes propos ne cherchaient pas à vous glorifier.
J'allais dénigrant toujours votre cœur pervers,
Noir du mal impie auquel on ne peut se fier.
IARBE
Visiblement étonné.
Mon cœur souffre le martyr des jeunes Hébreux,
Et de ma ville natale je me souviens.
Ma grande douleur est telle celle de ceux
Qui furent massacrés par les Grands Dieux païens.
J'avais tort de croire que vous aviez changé,
Que vous vous mettiez donc sous mon protectorat,
Et qu'une amitié entre nous s'était forgée.
Mais c'est donc en vain que mon esprit espéra.
Vous avez pour une fois gagné, ennemi,
Mais mes propos vont de nouveau vous dénigrer.
Retournez donc chez les gueux pleurer votre mie.
Vous n'êtes point digne d'une telle beauté !
ÉNÉE
Furieux.
Point digne ? Fiez donc ! Vos dires sont mensonges !
Que pensez-vous donc ? Que de vous elle est éprise ?
Je vous assure, vous n'occupez pas ses songes.
C'est mon cœur qui en Didon étend son emprise !
Énée part, rengainant son glaive et laissant sa lance à terre.
Scène 4
IARBE
Seul, visiblement désespéré et dépressif.
Oui, Énée a raison. Elle l'aime plus que moi.
Comment ai-je pu dire une seule seconde
Qu'elle serait ma femme, que je deviendrais Roi
Qu'existerait un lien d'amour. C'est dans le monde
D'aujourd'hui que je vis, ici que je croupis.
Demain, il fera beau. Mais ce jour n'est que gris.
Je l'aime. Nul ne le sait. Je me fais passer pour
Un homme d'intérêts, qui oublie ses amours.
Mais en ce jour je sais. Je sais qu'il me faudrait
M'annoncer à elle comme un homme amoureux,
Non tel un prince avide qui souhaite ses doux yeux
Seulement pour finir sa collection dorée.
Énée m'a fait savoir sa douleur intérieure.
Je sais bien que c'est lui qu'elle aime et chérira,
Qu'un soir d'été elle soit prise de frayeur
Ou qu'un matin d'hiver elle ait froid à ses doigts.
Il ne me reste plus qu'une seule issue.
Le sacrifice, la mort, l'expiation absolue.
La fusion avec Eux, Eux mes bons créateurs.
Eux, la solution à ces problèmes de cœur.
Dieux vous m'imposez un sacrifice cruel.
Je ne sais plus quoi faire pour la conserver.
J'errerai donc seul, éploré, dans les ruelles
Où ma souffrance saura comment s'abreuver.
Cette arme à terre, celle de mon ennemi,
Va m'aider à laver mon honneur sanglant.
Que faire aujourd'hui ? Mon destin je le choisis,
Mais ce mariage est un cercueil où chaque enfant
Aurait été un nouveau clou dans le bois d'aulne
Qui ferment la bière qui à jamais s'engloutit
Dans la Mort, le symbole du grand Roi des Aulnes,
Devant lequel toute forme de vie s'enfuit.
Que faire à part mettre fin à mon existence ?
Je ne crains donc pas la mort ni ne la repousse.
Cette chose à terre sera ainsi ma chance,
Mais personne ne peut venir à ma rescousse.
Iarbe saisit la lance, la lève au ciel et, présentant la poitrine à la pointe de la mortelle arme, rejoint le Roi des Aulnes dans une sensuelle étreinte.
Scène 5
ÉNÉE
De retour dans la salle de détente de Didon de Carthage.
Ici vous étiez donc, Didon aux cheveux longs !
Votre chevelure m'éblouit tout autant
Qu'un lever de soleil sur le sol des saxons.
Mon genou se doit plier devant votre rang.
DIDON
Surprise et heureuse de le voir arriver dans la pièce.
Les Dieux doivent me garder sous leurs blanches ailes,
Sans quoi je me serais languie, ici, sans vous.
Pendant plusieurs années, je vous ai vu partout.
Finalement vous voici. Êtes-vous réel,
Ou n'êtes-vous qu'un songe, qu'un beau mirage
Envoyé par les Dieux pour me voir tourmentée ?
Eux mieux que quiconque sont conscients de mon âge
Et c'est pourquoi je les pense bien impliqués
Dans cette résurgence que je ne pouvais
Ni escompter, ni espérer, ni souhaiter.
Ma joie est plus qu'immense à votre vue, Énée !
Car à présent que me combler est votre souhait,
Dites-moi simplement qu'ici vous resterez,
Et que plus jamais vous ne m'abandonnerez.
Sans quoi je pourrai vous garantir défaillir
Sous les coups acérés du malheur et des ires
Du désir assassin et des foudres divines
Qui me font plus que tout oublier cette ruine
Dont vous m'avez déjà dit les péripéties
Et dont je peux sentir le malheur épaissi.
Énée, vous voilà près de moi et du destin.
Alors prenez ma main et suivons le chemin,
Car je n'ai nul savoir de quand vous partirez.
Je vous en prie, Troyen. Dites que vous m'aimez.
ÉNÉE
Ô digne souveraine, je ne peux le nier.
Je ne sais si mon cœur peut davantage aimer.
Je ne sais si mes yeux se peuvent contempler
Plus belle créature, plus belle dulcinée.
Mais malgré mes sentiments, je dois vous quitter.
Votre amour reste ancré en moi à tout jamais.
Pardonnez-moi, j'ai une tâche à m'acquitter.
Adieu, chère et tendre amie qui fut mon aimée.
Énée sort.
Scène 6
Didon est assise, elle se lamente, telle le Penseur.
Pourquoi le Monde d'ici est-il si cruel ?
Pourquoi faut-il donc que je sois abandonnée ?
Pourquoi tombent ainsi sur moi les foudres du ciel ?
Pourquoi en des lieux mauvais mon cœur est jeté ?
Un sort malheureux est tombé sur ma personne.
Je prends le glaive qu'Énée m'a laissé en gage.
Que mon grand cri de douleur résonne
Jusqu'à Énée, pour qu'à jamais il crie de rage.
Peut-on imaginer plus prétentieux que lui ?
Plus brut, qui rude que cet homme qui m'a fuie ?
Dans quelle position m'a-t-il aujourd'hui mise ?
Sur quelles relations a-t-il eu la mainmise ?
C'est par ta faute, Énée, qu'Iarbe s'est suicidé.
C'est bien toi que j'aimais, mais je ne puis t'aider
C'est toi qui m'a trahie, c'est toi qui me tueras.
C'est toi que j'ai suivi, toi le beau scélérat.
C'est ton glaive que j'ai, c'est Iarbe que je suis.
C'est la mort qui me voit, c'est sa faux qui se penche.
C'est son bras qui me tient, la nuit qui se poursuit.
C'est ton ombre qui part, les lueurs qui me tranchent.
C'est toi, mon parapluie, qui m'a tuée, encore.
C'est ton amour qui m'a fait succomber, encore.
C'est le bruit de tes pas résonnant au lointain
Qui me pousse à penser que c'est toi, le troyen,
Qui est la cause de ma mort, mon sacrifice.
Didon prend le glaive, l'enfonce en son sein.
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