Panem crastinum
Les huées, les cris de colère, c'est un cortège plein de haine qui nous a accompagné jusqu'au train. J'ai dû m'isoler, je ne voulais plus les entendre. Je ne voulais pas assumer d'être un monstre, je sais que je vais ramener deux cadavres. C'est impossible à accepter. J'ai la tentation de boire, je comprends pourquoi Haymitch s'évade dans sa flasque. L'alcool peut me faire oublier que je suis une abomination.
Peeta se racle la gorge plusieurs fois. On pourrait croire qu'il cherche à cracher ce qu'il vient de faire. Il se fixe dans le miroir, je ne comprends pas comment il fait.
— Je n'arrive plus à faire ça, je soupire en me redressant du divan.
— Chacun sa façon de se punir pour ce qu'il a fait. Tous les jours je m'affronte, je me juge, puis je peins. Toile après toile j'évacue, je raconte et j'expie ce que j'ai fait, explique-t-il, la gorge nouée.
— Je sais. Tu as du talent, beaucoup de talent, je réponds en me rappelant des portraits qu'il a fait de moi.
— Mon frère aussi sait peindre. Mais il ne dit rien car il trouve que ça fait chochotte. Je ne suis pas une chochotte, dit-il en durcissant le regard.
— On ne gagne pas les Jeux en étant une chochotte, je confirme en me levant.
— On n'gagne pas les Jeux, point barre, grogne Haymitch.
Nous le fixons, sa phrase doit trouver un sens. Mais pas pour l'instant. Il est temps d'aller voir nos deux tributs. Nos deux victimes. J'ai à nouveau du mal à respirer, le regard de Prim ne me quitte plus. Elle a eu honte de moi. J'ai honte aussi de ce que je suis devenue. Un pantin. Dans d'autre temps j'aurais envoyé le registre de l'autre côté de la pièce, j'aurais refusé de participer à ça.
Mais ça c'était avant que Snow menace la seule chose à laquelle je tiens plus que ma propre vie. Mes proches.
Peeta m'enlace, je voudrais le rejeter, mais au fond ça me fait un bien fou. Je me sens un peu moins dégueulasse. Il appuie sur la commande d'ouverture et m'incite à entrer. Arpen discute avec Aïvy. Je l'entends parler de l'école, de ses déboires de collégien et de la fille au fond de la cour qui lui plait bien. C'est normal. Comme s'il allait revenir après un séjour.
Il ne reviendra pas.
Je sens les doigts de Peeta se crisper sur mes épaules. Je déglutis, Haymitch fait son entrée et se sert un rafraîchissement. Je comprends pourquoi il a tellement eu du mal à engager la conversation avec nous l'an dernier. Comment aborde-t-on deux personnes qui vont à la mort ? Je les regarde tour à tour, ils ont mis un étrange dispositif à Arpen, sûrement pour éviter la contamination.
— Tu es… très jolie… quand on te voit… de près… on comprend… que les filles… veulent te ressembler, expire Arpen entre deux quintes de toux.
— M-merci, je bredouille en réprimant un sanglot.
Comment peut-on avoir envie de ressembler à une meurtrière ? A un chat des rues affamé que l'angoisse empêche de grossir ?
— C'est bien parce que c'est la plus belle que je l'épouse ! lance Peeta sur un ton enjoué.
— Tu as… raison, tousse l'adolescent.
J'admire Peeta et sa façon de traduire les choses. Il sait que ce mariage est forcé, pourtant il fait comme si c'était l'issue d'une magnifique histoire d'amour. Mais ça a le mérite de briser la glace. Peeta s'installe à l'extrémité du wagon avec lui. Je dois faire face à Aïvy. Je dois affronter son regard bleu lourd de pensées et de peur.
Je la fuis des yeux, je ne sais même pas si elle a la capacité de parler. Je ne peux pas la préparer à des Jeux qu'elle ne pourra pas faire de toute façon. Alors je lui prends simplement la main, en me demandant si elle sent la pression que j'exerce. Elle a la peau très claire, comme si elle ne voyait jamais le soleil. Passe-t-elle ses journées alitée ? Enfermée, avec pour seule vue le plafond de sa chambre ?
Je continue de serrer, silencieusement. Je devrais me jeter à ses pieds et implorer son pardon, mais quelque chose me cloue au fauteuil. Sûrement la fierté, ou l'orgueil. Je ne sais pas. Je n'ai jamais su demander pardon. Il y a toujours ces murmures dans ma tête, ces voix accusatrices. J'entends les tributs se moquer de moi, de ma victoire. Eux, ils sont en paix. Endormis quelque part, où dans un autre monde, loin des districts et de la dictature.
Parfois je les envie. Ils reposent en paix, si ça se trouve Rue s'est même trouvée un camarade de jeu. Un gosse d'une autre édition. Elle est tellement maligne, elle serait encore capable de chaparder les affaires de Cato sans qu'il ne s'en rende compte. Et là-bas, là-bas Marvel ne peut plus l'arracher à sa famille. Je ne peux même pas l'accuser. Ce n'est pas Marvel qui l'a tuée, c'est le Capitole et ses foutus Jeux.
Aïvy larmoie, si elle pouvait bouger elle… Non. Si elle pouvait bouger elle ne serait pas là. Elle célébrerait sa liberté, danserait avec des amies ou le garçon qu'elle aime. Elle n'aurait pas été la victime de deux anciens vainqueurs à qui on a offert le droit de vie et de mort.
— Nous allons regarder les Moissons, propose Peeta en allumant le transmetteur.
Nous nous mettons à deux pour positionner Aïvy face à la projection. Elle respire plus vite, je crois qu'elle a peur de voir les autres. Je la comprends, ça ne lui sauvera pas la vie. Je gratte nerveusement l'accoudoir en cuir pourpre. C'est hideux cette couleur.
Peeta fronce les sourcils, les districts des carrières ont envoyés de véritables colosses. On croirait des statues de l'ancien monde, celle qui représentaient des dieux guerriers. C'est étrange de remettre sa vie entre les mains d'une chose qui n'existe pas. Ici il n'y a pas de dieu, juste de l'espoir et des statistiques.
Le district Cinq a adopté notre stratégie. Les deux tributs sont chétifs, curieusement formés. J'appréhende notre retransmission. Le bruit de la porte me fait sursauter. L'hôte apparaît dans un costume bleu, un sourire étincelant accroché au visage.
— Je n'ai pas raté le meilleur j'espère ? s'inquiète-t-il en prenant une coupe d'une boisson dorée et pétillante.
— Le meilleur ? je bougonne. Il n'y a pas de « meilleur » dans une Moisson !
— Allons, allons, regardez-nous, nous sommes superbes ! Peeta ce costume met vraiment en valeur ta carrure, et toi Katniss… Et toi tu pourras toujours envisager de te faire refaire les seins au Capitole, dit-il en portant la coupe à ses lèvres.
Peeta me retient de lui coller mon poing dans la figure. Me faire refaire les seins pour quoi ? Pour être une poupée pouffiasse parfaite qui fera baver les hommes ? Sans façon, je garde mes poils, ma petite poitrine et ma liberté ! Non, pas ma liberté… Je l'ai perdue avec les Jeux, je devrais m'y faire avec le temps. Peeta a l'air de bien s'en accommoder. Il est un peu comme ces canaris que l'on garde en cage, ceux qui chantent parce qu'on leur demande, quitte à y perdre la vie.
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Haymitch et l'hôte – à qui je n'ai toujours pas demandé le nom – emmènent Aïvy au lit après le repas. Arpen reste quelques instants avec Peeta qui lui explique comment il pourra séduire celle qu'il aime à son retour. Si seulement c'était quelque chose d'envisageable. Si seulement il avait ses chances. Mais non. C'est impossible, il ne gagnera pas face aux carrières. De toute façon ils gagnent presque tous les ans.
Je m'isole dans mon compartiment. J'effleure les draps en soie, ils me rappellent la Tournée de la victoire. Finalement, rien n'a changé. Je suis toujours ballottée dans ce train, toujours amenée là où le Capitole veut que je sois.
— Ça faisait longtemps Katniss, ricane la voix suave de Cato.
Je sursaute, il est là, assis au bout du lit. Il se regarde dans son épée, sa joue est partiellement arrachée. Sûrement les mutations. Je me recule et me recroqueville.
— Katniss, si tu ne me laisses pas accès à ta gorge ou à ta poitrine, comment veux-tu que je t'achève ? s'agace-t-il en continuant son curieux manège.
— DÉGAGE ! je hurle en tremblant jusqu'au plus profond de mon être.
— Pourquoi je m'en irais ? On se fait chier quand on est mort, tu sais ? grogne-t-il en se rapprochant.
— M'APPROCHE PAS ! TU ES MORT ! MORT, MORT, MORT ! je m'époumone en pleurant à chaudes larmes.
— KATNISS ? Tout va bien ? s'inquiète Peeta en me prenant contre lui.
Je ne l'ai même pas entendu arriver. Je m'accroche à lui, il doit le voir aussi. Il faut qu'il le voit.
— Regarde ! Cato est là ! Il est là ! IL VA NOUS TUER ! je crie en crispant mes doigts sur son pyjama.
— Katniss, souffle-t-il, Katniss il n'y a personne ici. Juste toi et moi…
Je le repousse et me tourne vers Cato. Il n'est plus là, il a disparu. Volatilisé. J'écarquille les yeux, ce n'est pas possible.
— Il était là, je m'insurge en désignant le bout du lit. Il était là, il m'a menacée ! Il était… là…
Ma voix se perd dans les pleurs, je suis à bout de force. Peeta me serre plus fort et caresse ma tête.
— Je… Je ne suis pas f-folle, je sanglote.
— Non, bien sûr que non. Tu es juste traumatisée, me rassure-t-il en continuant de me cajoler.
Je me souviens à quel point je me suis sentie en sécurité toutes ces fois où il a dormi avec moi. A deux on est plus forts face aux hallucinations et aux cauchemars. Les fantômes m'attaqueront moins, c'est certain. Je renifle, je ne lâche pas son vêtement.
— Tu veux bien rester avec moi ? je questionne d'une voix minuscule. S'il te plait…
Il hoche la tête et se glisse sous les draps. Au fond je crois que lui non plus n'a pas envie de dormir seul. Qui le voudrait ? Nous sommes tous les deux profondément marqués par l'épuisement et les nuits blanches. Est-ce qu'on s'en remettra un jour ? Quand je vois l'état d'Haymitch, j'en doute.
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À notre arrivée au Capitole, j'ai pu découvrir qu'il n'y a pas que les tributs qui passent au Centre de préparation. Une voiture nous y a emmenés dans un silence pesant. Aïvy ne me quitte jamais du regard, comme pour que je n'oublie jamais ce que j'ai fait. Ici l'image du président Snow est présente partout. Statues, affiches, il m'observe, tout le temps. Je sais que je n'ai pas l'air amoureuse, je n'y arrive pas. J'aime bien Peeta parce que c'est compliqué de détester quelqu'un d'aussi gentil, mais ça s'arrête là.
Nous sommes guidés jusqu'à une pièce sombre à la décoration essentiellement noire. C'est sûrement pour rappeler le charbon. Trois écrans géants diffusent des images de notre district, je cherche des connaissances, mais personne. D'ailleurs il n'a même pas l'air aussi pauvre que ce qu'il est en réalité. Peeta observe lui aussi attentivement chacune des projections, c'est l'image d'un Douze où il fait bon vivre.
— Je crois que ce sont des images d'avant la rébellion, confie-t-il comme s'il avait peur d'être entendu par le personnel.
— Tu crois ? je demande. HEY ! Qui vous a demandé de m'épiler ? je crache à un homme aux cheveux orange.
— Je constate que tu n'as toujours pas compris que la fourrure ce n'était pas tendance, réplique-t-il.
— Flavius ? je m'étonne en fronçant les sourcils.
— Lui-même ! Et cesse de froncer les deux buissons que tu as au-dessus des yeux, ça va te creuser des rides !
J'ouvre la bouche pour protester mais on en profite pour me poser un traitement pour blanchir les dents. Les toux charbonneuses n'aident pas vraiment à entretenir l'émail. Je déteste ce qu'on fait à mon corps. J'aime mon état naturel, être comme on m'a faite et pas comme les autres voudraient que je sois.
Ce sont encore des gouttes qui tombent dans un vase déjà trop plein. J'entends toujours parler du mariage, il sera célébré après les Jeux. Après les Jeux… C'est dans trois semaines, un mois tout au plus. Je déglutis, avec l'angoisse de la Moisson, la date m'avait échappée. Désormais elle me frappe de nouveau, comme une bonne claque.
Avec tous les préparatifs, je revis mon arrivée au Capitole, des flashs s'immiscent dans mon cerveau. Les transformations physiques totalement aberrantes des préparateurs me répugnent toujours autant, si ce n'est plus. Mais il y a un an j'étais la volontaire, l'héroïne prête à se sacrifier pour sa sœur. Et aujourd'hui ? Aujourd'hui plus personne ne s'en souvient, je suis la mentor monstrueuse qui envoie des enfants malades à la mort.
Je sens une main qui se glisse dans la mienne. Cagneuse, puissante, c'est celle de Peeta. Il me comprime les doigts, j'ignore si c'est pour me rassurer ou pour se soulager. Il n'assume pas plus que moi d'avoir fait ça. Pourtant, il a la force des mots de son côté. C'est vrai quoi, il suffit qu'il ouvre la bouche et tout le monde est à ses pieds, prêt à croire chacune de ces phrases. Je n'ai pas cette force.
Quand Flavius me contraint à affronter le reflet du miroir, je ne me reconnais pas. Je suis trop maquillée, trop apprêtée, je ne saurais même plus me donner un âge sous la couche de maquillage. Des plumes, des strass, peut-être même de véritables éclats de diamant, mettent en valeur mes yeux gris délavés par les nuits de pleurs et d'angoisse.
Je porte encore une création noire. C'est parfait. Je ne voulais pas avoir l'air de faire la fête, avoir l'air de me réjouir d'écouter les ordres du Capitole. Où est passé ma force d'opposition ? Où est passé la Katniss capable de menacer un Haut Juge de suicide ?
Où est passé le geai moqueur ?
Une question qui résume tout. J'avais cette flamme en moi, cet espoir qu'un jour Panem ne serait plus une dictature. Il y a même des soirs, où optimiste je me voyais avoir des enfants libres de la Moisson. Généralement c'était une rêverie de quelques minutes, et pourtant elle me faisait du bien.
Je suis entraînée par l'équipe de préparateurs jusqu'au rassemblement des chars de la parade. Je reconnais l'endroit, celui où j'ai gagné mon surnom de fille du feu. Tout ça me parait loin, juste un souvenir douloureux. Peeta tape amicalement dans le dos d'Arpen. Il regarde sa main noircie par le charbon du costume.
— La poussière de charbon, ça nous poursuit jusqu'ici, commente-t-il simplement.
Je hoche la tête, que répondre à ça ? Je sens une nouvelle quinte de toux, on me donne rapidement un mouchoir. J'ai les moyens de me faire soigner, mais je m'y refuse. J'ai le sentiment que ce crachat noir et charbonneux est la dernière chose qui fait de moi une habitante du Douze. Des poumons pourris, ça, le Capitole ne me l'enlèvera jamais.
Deux muets installent Aïvy sur le char avec un étrange appareillage qui la maintient debout. Est-ce avec ça qu'ils vont l'envoyer dans l'arène aussi ? Je l'imagine sur son piédestal, un frisson me parcourt la colonne vertébrale. Arpen l'enlace, et soutient Aïvy même si ça ne sert à rien. Elle lui sourit, l'une des perles blanches qui habille son costume roule jusqu'à nous. Le styliste aurait-il pris au sérieux la phrase d'Effie ?
Peeta la ramasse alors que le chariot s'ébranle. Il prend mon poignet et me fait tendre la main. Je le sens trembler un peu, il hésite. Après un an à se chercher, se fuir et se retrouver, je veux mettre un terme à ça. Stabiliser, retrouver mon partenaire, ne plus être seule face à ça. J'effleure sa joue, il laisse tomber la petite perle dans le creux de ma paume.
— Peeta, je murmure faiblement, prête à m'effondrer.
— Shh. Tu sais que… Si on applique une pression suffisante sur du charbon…
— On obtient une perle, je finis en fixant la petite merveille nacrée.
Je l'enlace, fort, les larmes aux yeux. Cette phrase, ridicule à la base, est devenue tellement lourde de sens. Je suis un bout de charbon sur lequel on fait pression. Je suis quelque chose de disgracieux, de sombre. Et pourtant lui… Lui il a réussi à y voir une perle. Pourquoi je ne suis pas capable de trouver des perles moi aussi ?
Je repense à la finale de nos Jeux. Si je l'avais tué je n'aurais pas été une gentille gagnante. Non, je n'étais pas faite pour l'être. S'il y avait eu un peu de justice en ce monde, c'est lui qui aurait été le gentil gagnant. C'est lui qui aurait donné ses gains, au fond je sais qu'il n'aurait pas laissé ma famille mourir de faim.
Lui aussi me comprime, j'ai la tête enfouie contre son torse, je ne veux plus quitter ses bras. Je veux être la perle. Mais ça, ce n'est possible qu'ici, maintenant, contre lui. Dès qu'il me relâchera, je redeviendrais un morceau de charbon, rude et noir.
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Pendant la parade, certains capitoliens ont hué notre char. Il faut dire que ce ne sont pas des champions dignes d'une Expiation. J'ai eu mal pour eux, ils ne méritent rien de tout ça. Dans l'appartement il règne un silence lourd, pesant. L'hôte est moins sympathique qu'Effie et le styliste est aussi bavard qu'un pot de fleur.
Un muet nous apporte des tenues pour la nuit. Je l'observe, mon estomac se noue d'avantage. Il est pâle, affreusement pâle, et son corps porte encore les traces de la torture infligée par le Capitole.
— Darius, je murmure, Darius c'est toi ? Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? je m'alarme en relevant ses manches pour découvrir des traces de brûlures.
Il baisse les yeux et secoue la tête. Il ne saura pas me répondre. Je suis stupide. Je repense à mes entrevues avec Snow, je suis responsable de tout ça. Je plaque mes mains sur mes oreilles, je ne veux pas encore entendre les reproches des morts. Darius force un sourire, mais je sais qu'il est en souffrance. Je ne veux pas imaginer ce qu'il a dû vivre. Je ne veux pas visualiser la cisaille monstrueuse qui a dû lui couper la langue.
Je me laisse tomber sur le lit, les chuchotements persistent. J'appuie plus fort, comme si ça pouvait y changer quelque chose.
— C'est dans ma tête, juste dans ma tête, je me répète en me berçant.
Je voudrais chanter, mais aucune note ne me parvient. J'ai oublié mes berceuses, mes comptines, les chansons de papa. Je me recroqueville dans le lit. J'aimerai que Peeta soit près de moi. Mais il a ses propres fantômes et surement mieux à faire que de s'occuper d'une fille pas capable d'être amoureuse.
Je ne veux pas aimer. Je ne peux plus m'attacher.
Haymitch ronfle dans la chambre à côté. Parfois j'envie son sommeil, sa capacité à s'endormir n'importe où, même s'il garde son couteau avec lui. Je devrais peut-être dormir armée. Où dormir en haut d'un arbre. Je ne sais pas. Je ne sais plus ce que je vais faire de ma vie. Je reste cet animal blessé, agressif, qui ne veut pas qu'on l'aide.
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Je découvre ce que font les mentors durant les entraînements. Peeta a conseillé à nos tributs de ne pas montrer leur force, j'ai lu une haine profonde dans le regard d'Aïvy. Elle sait qu'elle va mourir. Elle sait que c'est de notre faute. Arpen ne perd pas espoir, entre chaque quinte de toux, il trouve un mot gentil à lui dire. J'ai un profond respect pour lui et pour son absence de peur.
Nous prenons place dans un grand salon avec les autres mentors. Il y a quelques extraits des entraînements, et surtout des diffusions des anciennes éditions. Il y a des têtes connues, comme cette femme aux dents d'or taillées en pointes.
— Enobaria, reconnait Peeta avec un air inquiet.
— Quand tu sais qu'elle a égorgé un tribut avec ses dents, ça calme, je réponds sans desserrer la mâchoire.
Haymitch part s'installer dans un coin avec un manchot, je crois l'avoir vu lors de la Moisson du Onze. La mentor du Deux au sourire carnassier s'approche de nous. Je m'attends à une pique, voire à ce qu'elle me plante ses crocs dans la gorge, mais elle se contente de sourire. Peeta gagne un peu en confiance et lui tend la main.
— Enchanté, je suis Peeta le…
— Le boulet qui a gagné juste parce que sa partenaire a eu pitié de lui. Je sais, coupe-t-elle avant de se tourner vers moi. Alors, on se plait dans les lauriers de la victoire ? A ta place, je n'arriverais plus à dormir, surtout au Capitole. Tu sais, certains mentors ont la rancœur tenace.
— C'est une menace ? je crache en serrant les poings.
— Appelons ça un avertissement, dit-elle en bousculant Peeta pour rejoindre les mentors du Un.
Peeta reste avec sa main en l'air, encore choqué par la réaction de l'ancienne vainqueur. Je le prends par le bras et lui indique un canapé libre. Les couleurs criardes de la pièce me piquent presque les yeux, mais nous devons rester ici. Haymitch nous a dit qu'il fallait entretenir de bons termes avec les autres, qui sait ? Ça peut éventuellement sauver la vie de nos tributs.
— On ne pourra pas s'entendre avec les mentors des carrières, je raisonne en observant le quatuor que forment le Un et le Deux.
— Regarde, Haymitch tape le carton avec le manchot du Onze, s'émerveille-t-il en les désignant du menton.
— Super, on a plus qu'à devenir les meilleurs copains des autres ! je raille en balayant la pièce du regard.
Le bruit de la porte attire notre attention. Une grande blonde sublime entre avec une petite fille au bras. La fillette semble se perdre dans le tulle et de taffetas rose de sa tenue, sa mère a l'air étrangement normale pour une capitolienne.
— Ambre, ma chérie, il faut dire bonjour à tonton Gloss ! Et oui tonton Gloss il a les gros muscles, regarde, rit-elle alors que son frère roule des mécaniques.
— Les frères du Un, commente Peeta. Tu te souviens de…
— Oui. Deux années d'affilée, c'était juste improbable, je peste en voyant les vainqueurs se retrouver.
Nous entendons pouffer de rire à côté de nous, depuis quelques minutes un bruit de mastication m'agace profondément. Je fais volte-face sur le divan et me retrouve nez à nez avec le célèbre Finnick Odair, reconnaissable entre mille avec son physique d'Apollon.
— En voilà une qui a trouvé une façon intelligente de ne pas se faire baiser par tout le Capitole, déclare-t-il en enfournant un carré de sucre dans sa bouche.
— Charmant, je rétorque en me renfrognant.
— Tu vas pas faire la gueule ? Tu aurais fait un malheur si tu avais eu un peu plus de poitrine et moins l'air constipée, plaisante-t-il.
— Je constate que pour toi tout n'est qu'une grosse blague, je vocifère en commençant à me relever.
— Hey, pars pas. Si on peut plus rire de rien, où va-t-on ?
Il contourne le canapé où Peeta siège toujours et vient me prendre par les épaules. Son regard vert est profond, curieusement je n'y vois pas l'étincelle de bonne humeur qu'il devrait dégager. On croirait plutôt qu'il passe les pires moments de sa vie dans cette pièce. Un large sourire étire ses lèvres, je le devine aussi faux que tous les autres habitants de cette ville.
— On ne boude pas petite sœur, les vainqueurs, c'est une grande et belle famille où on se tient tous par la main, dit-il en baissant le ton. Tu sais, moi aussi je les vois, les morts.
Je le dévisage, sa dernière phrase me glace le sang. Je sens un frisson me parcourir, serait-il possible que ce carrière qui n'a éprouvé aucun scrupule à faire un véritable massacre alors qu'il n'avait que quatorze ans, culpabilise ? Il exerce une dernière pression sur mes épaules et s'en va vers Cashmere qui exhibe « sa petite merveille ».
Je déglutis, elle a l'air heureuse avec son enfant. Elle affiche un sourire éblouissant, un air de mère totalement épanouie, j'en viens même à me demander si elle a bien remporté des Jeux il y a une dizaine d'année.
— J'te jure, quelle vendue celle-là ! s'insurge une voix suraiguë dans notre dos. Se faire faire un gamin par un type haut placé au Capitole, elle a vraiment pas honte. Si nous on doit vendre nos cul, alors elle aussi ! OUAIS POUFFIASSE, TROP FACILE DE SE FAIRE METTRE EN CLOQUE !
Les mentors des carrières lui adressent un regard dédaigneux à l'exception de Finnick qui la gratifie d'un clin d'œil discret. La petite brune, toute menue et aux grands yeux noisette, se pose sur le canapé à côté de Peeta.
— Alors mon chou, ça fait quoi d'être le nouveau fantasme, demande-t-elle en jouant avec ses mèches de cheveux.
— Euh, je ne crois… je bredouille.
— Pas toi l'affamée, je parle à Peeta. Toi t'exciterais pas un homme sorti des prisons du Capitole !
— Okay, je réponds en levant les mains.
— Je suis un fantasme ? s'étonne Peeta alors qu'elle prend un malin plaisir à lui effleurer la joue et le cou.
— Et oui mon petit boulanger, que veux-tu, y'en a que ça fait mouiller les prothèses. Si seulement vous n'étiez pas coincés dans votre délire romantique et guimauve à gerber…
— ON N'EST PAS ROMANTIQUES ! je proteste en sentant mes faux ongles pénétrer la chair de mes paumes.
— Oh voyez-vous ça ? Serais-tu en train de me dire que les amants maudits qu'on a laissé rentrer chez eux à deux juste parce qu'ils étaient fous amoureux l'un de l'autre, dit-elle en singeant Caesar Flickerman, ne serait qu'une vaste supercherie ?
Un silence de plomb règne dans la salle. Haymitch n'a jamais paru aussi lucide et pour une fois Peeta ne trouve pas les mots justes pour nous sortir de là. A nouveau ma robe semble se serrer autour de mon buste, appuyer sur ma cage thoracique au point de m'étouffer. Peeta me prend la main et se tourne vers les autres.
— Mon amour, le stress du mariage te fait vraiment dire n'importe quoi ! Allons-nous reposer, lance-t-il avant de m’entraîner hors de ce maudit salon.
Nous faisons quelques mètres avant que je ne puisse plus tenir, mes nerfs lâchent, c'était trop. Je me laisse glisser au sol. Ma robe est trop lourde, tout est trop lourd dans cette ville.
— Je suis désolée Peeta, je suis désolée mais je ne peux pas… La robe, le mariage, les enfants, c'est… C'est pas nous… C'EST PAS NOUS ! je panique, agitée par les spasmes.
— Je ne rêve pas d'un mariage au Capitole non plus, mais j'essaye de me dire que ça va être un tournant, une façon de mieux vivre, explique-t-il en se baissant à ma hauteur.
— Peeta, on ne pourra pas vivre mieux… Ils seront toujours là, à nous surveiller, à nous menacer, à nous obliger de construire cette histoire, je gémis, noyée dans les larmes.
Je suis prise d'une quinte de toux, les glaires m'étouffent à moitié. J'ai la nausée. Mon abdomen se contracte avec violence, je n'ai que le temps de me détourner de Peeta pour vomir une bile noircie par le charbon.
Voilà, Katniss Everdeen, gagnante des soixante-quatorzième Hunger Games, vient de vomir à quelques pas des fiers vainqueurs des éditions passées. Je suis ridicule. Je ne suis pas à ma place. Ce n'était pas à moi de gagner, du moins pas comme ça, pas avec cette supercherie. J'ai cru sauver Peeta, j'ai cru tenir ma promesse envers Prim. Mais non. C'est faux, tout est faux.
Peeta m'essuie la bouche, avec patience. A sa place je serais parti, loin. La preuve que je n'ai rien à faire avec lui. Il embrasse mon front, ça me rappelle mon père. Je me blottis contre lui, j'ai besoin de douceur. J'ai besoin d'oublier.
— Nous allons affronter ça à deux, comme l'arène, affirme-t-il, résolu.
— Ensemble ? je demande d'une voix rauque.
— Ensemble, confirme-t-il en accentuant son étreinte.
La porte du salon s'ouvre, nous avons le temps d'apercevoir Gloss qui fait le cheval pour Ambre. Ma gorge se serre, ils rient, s'extasient devant la petite. Cette scène est tellement proche de ce que j'ai connue. Mon père faisait le cheval pour Prim, et pour moi aussi.
Les anciens carrières aussi ont un cœur.
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Les trois jours sont passés vites. Bien trop vite. Je suis restée majoritairement dans le salon des mentors à regarder d'anciennes éditions. Avec Peeta nous avons fait bloc contre les autres, unis comme nous aurions toujours dû l'être. Malgré tout, je reste terrifiée par le mariage forcé, chaque nuit je revis ma discussion avec Snow, les menaces, les morts.
L'exécution de l'homme dans le Onze m'a véritablement traumatisée. Le bruit du coup de feu, le crâne éclaté. Ma responsabilité. Ma faute. Je relève la tête vers la porte, je dois me rendre au salon pour les résultats de l'évaluation. Je me pelotonne dans un épais gilet de laine, malgré la chaleur je meurs de froid.
— Tu sais, quand on est mort, on a toujours froid aussi, chuchote Rue.
— S'il te plait, laisse-moi, je souffle en pressant le pas.
— Non, je ne veux pas rester toute seule, réplique-t-elle en s'accrochant à ma jambe.
— LÂCHE-MOI ! je hurle. TU ES MORTE ! MORTE ! MORTE !
Je m'agite et secoue la jambe, Peeta et l'hôte me rejoignent en courant, ce dernier m'administre une gifle.
— Tu es hystérique ! Calme-toi, ce n'est pas une attitude pour un mentor, réprimande l'hôte en réajustant sa veste.
— Elle était là, elle était là, j'halète en me tenant au mur.
— C'était une hallucination, juste une hallucination, me rassure Peeta en me prenant contre lui.
Je pleure, je pleure beaucoup trop depuis ma victoire. Je me rends au salon, Arpen et Aïvy sont assis l'un contre l'autre, Peeta leur sourit et les rassure.
— Peu importe votre note, nous serons fiers de vous, d'accord ?
— Ouais, on s'ra trop fier, baragouine Haymitch.
Je fronce les sourcils, à vrai dire durant ces trois jours il nous a laissés, je crois que je lui en veux. Caesar apparaît à l'écran avec ses cheveux lavande. Arpen gigote, tousse, crache, j'ai l'impression que son état s'est beaucoup dégradé durant les entraînements. Je me crispe, demain il faudra leur dire adieu. Demain nous serons mis face à l'injustice de notre sélection.
Peeta prend ma main, cette année les notes sont hautes, à l'exception du Cinq qui a également envoyé des malades. Le chiffre douze apparaît à l'écran.
— Aïvy obtient la note de un, nous nous attendions à un zéro, confie l'animateur. Pour conclure, Arpen s'en sort avec un quatre !
Nous applaudissons nos tributs. On se fiche de la note, on veut juste leur montrer que nous sommes là malgré tout. Ce soir, ce sera l'ultime interview, notre chance de leur avoir peut-être un sponsor. Peeta part s'isoler avec Arpen dans sa chambre, je me dis qu'il pourrait s'en sortir sur un coup de chance. Du moins je l'espère.
— Est-ce que ça fait mal ? questionne une petite voix fluette.
Je me tourne lentement vers Aïvy, elle parle. Je la croyais muette, paralysée jusqu'aux cordes vocales. Je me rapproche d'elle et lui prend les mains, comme dans le train.
— Est-ce que ça fait mal de mourir ? couine-t-elle en refoulant des larmes. J'ai vraiment très peur tu sais.
— Je… Je ne sais pas si ça fait mal, j'avoue en baissant la tête.
— Oh… J'avais espéré que ça se passerait vite, que tu me dises que c'est comme dormir, répond-t-elle d'une voix de plus en plus inaudible.
Ma peau olivâtre tranche avec la sienne si blanche. Je crispe mes doigts autour des siens, je ne dois pas craquer. Pas devant elle.
— Je ne vous en veux pas. Je… Je suis heureuse de partir en ayant sauvé quelqu'un d'autre, affirme-t-elle.
— Tu as tellement de courage, je murmure, tu mérites tellement de…
— Vivre ? Qui mérite de mourir Katniss ? Nous, on y est pour rien, c'est des histoires d'anciens les Jeux.
Sa voix est douce, apaisée malgré la peur. Je pose sa tête sur ma poitrine, comme je le faisais avec Prim pour la rassurer. Je caresse doucement sa joue, je sens des larmes sur mes doigts.
— Je ne peux pas te sauver Aïvy… Je ne peux plus sauver personne maintenant. Je… Je ne peux qu'espérer que certains ne meurent pas, ou ne connaissent pas une lente agonie, je…
— Tu pourrais m'avoir les baies que tu voulais manger pendant tes Jeux ? demande-t-elle, brisée.
Je regarde autour de moi, faire passer en douce des baies. Lui permettre de mourir vite, sans douleurs. Est-ce que c'est ça aussi le rôle d'un mentor ?
— Je vais tout faire pour t'en fournir, je promets en continuant de la cajoler.
— Merci, souffle-t-elle.
Nous restons des heures ainsi. A quoi bon la préparer pour l'interview ? Elle est déjà morte dans son esprit. Pour gagner il faut avoir l'espoir, bien plus que tout il permet de gagner. Si je n'avais pas voulu revoir Prim à ce point j'aurais avalée ces baies et tout serait fini.
Aïvy me fait une curieuse demande en fin de journée. Elle veut que j'écrive à sa famille, je ne peux pas refuser. Je l'écoute attentivement me dicter ses derniers mots, je me fais violence pour ne pas trembler.
— Maman, je sais que tu n'as pas pu venir pour les adieux, je ne t'en veux pas. De toute façon tu aurais pleuré et je déteste que tu pleures, commence-t-elle à dicter lentement. Je t'aime, je t'ai toujours aimée même si j'ai eu cet accident, ce n'était pas de ta faute. Tu m'as toujours dit de ne pas monter trop haut dans les arbres et moi…
Elle s'interrompt, elle cherche ses mots. Mon estomac se tord, se noue, le goût de la bile acide me brûle la gorge. Je ne mange toujours pas. Je ne peux pas. Je vois ses yeux fixer la table basse, je pense à ma propre mère. Et si je la perdais ? Nous avons toujours eu cette étrange barrière entre nous, surtout depuis la mort de papa. Mais est-ce que je l'aurais supporté ? Aïvy se racle la gorge, je secoue la tête et me concentre de nouveau sur le feuillet.
— Je voulais juste essayer de toucher les nuages, parce que Sam m'a toujours dit que c'était de la guimauve. Je sais que depuis tu détestes ce chêne de l'arrière-cour, que tu veux le faire abattre. Mais laisse-le. Ce n'est pas de sa faute, pas plus que de la tienne. C'est juste moi et ma gourmandise. Je… Je vous aime si fort et ça me fait de la peine de partir si vite mais je comprends ce choix et… Et je n'en voudrais jamais à nos vainqueurs car pour la première fois depuis mon accident, je me sens utile, conclut-elle.
Je soigne mon écriture, j'aimerai avoir sa capacité de pardon, sa douceur, sa gentillesse. Je lui mets devant les yeux pour qu'elle relise, elle sourit tristement. Je mets la lettre dans une jolie enveloppe, je la donnerais, j'en fais la promesse. Ça me donne une bonne raison de vouloir retourner au district affronter le regard pesant des gens.
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Aïvy et Arpen sont encore en noir avec des perles pour l'interview. Je les trouve beaux même si ça n'égale pas les impressionnantes tenues du Un et de Deux. Aïvy est dans une chaise roulante, Peeta s'est proposé de l'accompagner sur scène mais elle a voulu que je le fasse. Nous attendons à l'arrière de la scène, mes mains sont contractées sur les poignées du fauteuil, je ne vois plus les gens tant les projecteurs sont puissant. Je suis dans une bulle, projetée un an en arrière. Rue était encore en vie. Je me souviens de sa petite robe de fée.
— Katniss, c'est à nous, me signale Aïvy.
Je m'avance, Caesar me salue poliment avant de s'intéresser à Aïvy. Je la couve du regard, c'est de ma faute si elle est là.
— Je n'ai pas peur de mourir Caesar, ment-elle en essayant de se donner de la fermeté dans la voix. Je… J'espère qu'après la mort on va quelque part et que là-bas je pourrais marcher, explique-t-elle.
Je sens une boule dans mon estomac, elle a l'air de vraiment y croire. Caesar est touché, elle aussi maîtrise les mots. Elle aurait pu être une bonne tribut, peut-être même une bonne vainqueur si elle n'avait pas eu ce fichu handicap.
— Et, est-ce que Peeta et Katniss sont de bons mentors ? interroge Caesar en prenant un ton de confident.
— Ils sont merveilleux, affirme-t-elle en tournant les yeux vers moi. Je n'en aurais pas voulu d'autre et je leur souhaite d'être très heureux dans leur mariage.
Je me tends, elle évoque un sujet épineux mais curieusement, je me dis qu'elle peut nous aider à accréditer notre histoire.
— Ça promet d'être un mariage magnifique ! s'enthousiasme Caesar. D'ailleurs j'en profite pour vous annoncer que j'aurais la joie et l'honneur de l'animer.
C'est une véritable ovation, je me décompose. Un show télévisé, mon mariage est un show télévisé. J'ai envie de déguerpir de la scène. Mais la peur me cloue au sol. Mes yeux s'écarquillent.
— Je le verrai de là-bas, souffle Aïvy.
— Nous n'en doutons pas, applaudissez Aïvy du district Douze ! conclut-il en levant les bras.
Il me faut un moment pour sortir de scène avec Aïvy, j'ai l'impression que mes jambes sont en coton. Peeta vient me retrouver alors que l'équipe de préparateurs prend en charges nos tributs.
— Peeta, ils vont faire une émission télé, je panique.
— Je sais, j'ai entendu. Ce n'est pas grave, ils vont juste mettre des caméras et…
— TU NE COMPRENDS PAS ? je crie. Ce n'est que le début, Peeta ! D'abord ça puis… Puis ils viendront nous harceler dans le Douze, ils filmeront ma grossesse, choisiront le prénom, si ça se trouve ils décideront même du sexe de nos enfants !
— Je crois que tu exagère un peu, c'est juste… Il est juste question de filmer notre mariage Katniss… S'il te plait, calme-toi, tu… tu sais qu'il faut que tu te calme, m'apaise-t-il.
Je lutte contre moi-même pour prendre une grande inspiration et calmer mes nerfs. Je sais que nos familles risquent gros si on ne joue pas le jeu des amants transis d'amour. Dans ses yeux je lis la peur, il a des frères, des parents, tout dépend de moi encore une fois.
Haymitch me tapote l'épaule et me tend sa flasque. J'hésite un instant puis me laisse aller à boire une gorgée. L'alcool diffuse une chaleur douce, rassurante, je me détends.
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Je n'ai pas dormi. Toute la nuit ils sont venus me voir. Je ne peux pas voir mes tributs mourir. Je ne sais pas comment Haymitch a pu subir ça durant vingt-trois ans. Le soleil se lève à peine, j'ai demandé à Darius de m'apporter du sureau mortel. Il nous a entendues avec Aïvy et je crois qu'il comprend. J'ignore comment il a pu s'en procurer, mais ce qui compte c'est que ça fonctionne.
Je les lave soigneusement, il faut que la surface soit lisse, sans jus. Ainsi ça fera une capsule qu'elle n'aura qu'à croquer une fois sur son piédestal.
— Que c'est moche Katniss, tu vas tuer encore quelqu'un… ricane Clove.
— Fiche-moi la paix ! je crache en glissant les baies dans ma poche.
— Décidément, tu n'as jamais fini de te moquer du Capitole… Ça finira par te retomber dessus, chantonne-t-elle avant de disparaître.
Des menaces, toujours des menaces. Elles pèsent de plus en plus lourd sur moi. Je me rends dans la chambre d'Aïvy, elle a des cernes monstrueux. Je vois les vêtements sur son lit et la muette prête à l'habiller.
— Je m'en charge, vous pouvez y aller, j'ordonne en m'approchant d'elle.
Je la prends dans mes bras, dans quelques heures elle aura cessé d'exister. C'est trop dur à imaginer, trop dur à admettre.
— Tu les as ? questionne-t-elle anxieusement.
— Oui, je les ai. Tu n'auras pas mal, tu t'endormiras. Tu… Tu es courageuse, tout le monde est fier de toi et… Et tu mérites d'être applaudie, bien plus que n'importe quel carrière, j'affirme en laissant échapper un sanglot.
— Je suis contente que tu aies réussi, j'avais vraiment peur d'avoir mal, avoue-t-elle.
— Dans quelques heures tu marcheras là-bas.
Elle sourit faiblement, je l'habille. La tenue d'arène est composée de rangers, d'un short moulant, d'une ceinture à laquelle on peut attacher des choses et d'une brassière. Je l'analyse, j'essaye de deviner l'arène à travers les pièces de tissus.
Nous n'arrivons plus à parler, la peur est là, bien plus forte que nous deux. A l'heure du départ je lui glisse les baies sous la langue en lui expliquant qu'elle n'aura qu'à croquer quand elle sentira le moment venir. Nous ne pouvons les accompagner que jusqu'à l'hovercraft, je l'étreins pour la dernière fois. J'aurais voulu apprendre à la connaitre avant. J'aurais voulu la connaitre dans d'autres circonstances.
— Katniss… Je… S'il te plait, je sais que… Tu as peur pour le mariage mais… Ne viens pas marcher là-bas avec moi. Tu peux me le promettre ? murmure-t-elle à mon oreille en zozotant un peu.
J'ouvre la bouche, choquée qu'elle ait compris. Choquée d'avoir l'air prête à en finir. Mais… Elle vient d'éclairer quelque chose en moi, une chose qui sommeillait. Une solution à tout ça.
— Je… Je vais essayer, je bredouille en la relâchant.
Un Pacificateur la soulève de sa chaise et l'emporte jusqu'à l'hovercraft. C'est une poupée de chiffon. Pourtant, elle est bien plus forte que moi. L'appareil décolle dans un bruit assourdissant, à présent nous allons attendre treize heures pour découvrir l'arène en même temps que tout Panem.
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C'était une grotte, avec une jungle et des créatures sortie de la naissance du monde. C'était un carnage. Il n'y avait que des armes primitives, terrifiantes, suffisamment mal aiguisée pour que chaque agonie soit longue, interminable.
Les corps des tributs étaient peints aux couleurs de la végétation, si bien qu'ils se confondaient avec les feuillages. J'ai trouvé Aïvy magnifique. Ils l'avaient assise sur une chaise, sanglée au dossier pour qu'elle tienne sur le piédestal. Elle a eu une posture de reine qui voit son monde s'ouvrir devant elle. Je crois que je n'oublierais jamais son regard, sa détermination quand elle a avalée les baies. Elle a cessé de respirer dans l'instant, à la seconde même où du jus violacé a perlé de ses lèvres.
Maintenant elle marche. Je le sais. Je la vois. Elle ne me dit pas de méchancetés, elle ne parle plus d'ailleurs. Juste elle me suit, partout.
Puis il y a eu Arpen. Vif, il a sauté de la plaque et a réussi à s'emparer d'un baluchon en toile grossière. Il toussait à en cracher ses poumons mais son envie de vivre a pris le dessus. Il a survécu à la première nuit, Peeta a même réussi à lui trouver une vieille dame couverte de bijoux pour lui payer de la nourriture et de l'eau. Nous voulions quelque chose pour sa tuberculose, mais pour durcir les Jeux, tout produit n'étant pas considéré comme « primitif » était interdit.
Il a passé le second jour, caché dans une sorte d'éboulement rocheux. Il répétait en boucle « Aïvy ». Ça lui a fait quelques chose de la voir apparaître en hologramme sur la paroi rocheuse. Je n'ai pas pleuré. Parce qu'elle était là, à côté de moi.
Au troisième jour, des carrières l'ont débusqué. J'ai dû supporter de le voir se faire éviscérer, Enobaria m'a fixée et m'a dit qu'on ne gagnait pas avec de la pitié. Elle avait sûrement raison. Je n'arrivais pas à détourner le regard des boyaux pourpre, presque bleutés, de mon tribut. C'était mon œuvre. En le désignant, c'est comme si je l'avais éventré moi-même. L'agonie a duré, longtemps.
Il appelait à l'aide, suppliait qu'on lui envoie de quoi se recoudre. Mais nous n'avons pas bougé, immobilisés par l'horreur. Peut-être même par la peur. J'ai bu à la flasque d'Haymitch, beaucoup bu même. L'Expiation s'est terminée pour le Douze dans le sang, les larmes et les déjections d'un gamin de quatorze ans.
C'est Haymitch qui a ramené les cercueils. Je ne les ai pas vu, je n'ai pas pu. Nous sommes restés au Capitole pour préparer notre mariage. C'était un ordre, pas un choix. Notre ancien mentor a pris la lettre, la seule chose qui aurait pu me donner la force de rentrer et d'affronter les autres.