Les mogettes c'est dégueulasse. En tant que vendéenne toujours tragiquement coincée entre deux vaches, j'y ai droit à chaque repas de famille. Il serait amusant à cet endroit du récit de faire une analogie entre les deux vaches et mes deux voisines de table que sont généralement mes tantes, mais passons.
Les mogettes, de fait, malgré la haine que je leur voue m'ont permis de rencontrer l'amour de ma... Oh ? Vraiment ? Vous ne savez pas ce que sont des mogettes ? Comme je vous envie ! Vous auriez dû m'interrompre plus tôt !
La mogette donc, appelée « haricot blanc » par toute personne ayant un tant soit peu d'éducation – soit issue d'un département plus éloigné – est une spécialité vendéenne qui colle au palais, qui provoque des flatulences et que l'on mange la plupart du temps avec du Jambon de Vendée. Non, je ne connais pas la différence entre le jambon et le Jambon de Vendée. Peut-être que les porcs de Vendée s'emmerdaient tellement qu'ils sont morts tous seuls ?
D'après un type venu du 44 que j'ai connu, il existe une différence entre les haricots blancs et les mogettes dans la manière de les préparer... Je me permets de rester sceptique là-dessus, et j'ai raison puisque c'est moi la vraie vendéenne. Il faut bien que je dispose au moins d'un privilège. Si vous voulez mon avis, les spécialités vendéennes sont en fait des plats déjà existants que les vendéens ont renommés afin de faire croire à une innovation radicale. Tss, tant de fourberie...
J'ai consulté pour vous Tonton André, grand expert en étymogettologie, et je lui ai demandé de m'expliquer comment mes ancêtres cueilleurs de haricots avaient trouvé un nom aussi moche. Il m'a dit :
« 'Coute, c'pas compliqué. Une mogette, c'est une petite moge ! »
Et puis il a souri de toutes ses dents, même s'il manquait tout de même celle qu'il avait perdu dans une bagarre contre un supporter du PSG. Avec un brin d'impatience, j'ai demandé ce qu'était une moge.
« Ben tu vois, dans l'temps une moge, c'tait une femelle de bouvillon. C'pour ça qu'parfois j'appelle ta tante Germaine ma p'tite moge ! »
Un peu dégoûtée, je n'ai pas demandé ce qu'était un bouvillon ; mais Wikipédia m'a appris qu'il s'agissait d'un jeune bœuf. Tonton André s'était bien foutu de ma gueule.
Je tenais par ailleurs à vous informer que la mogette de Vendée a obtenu le 9 octobre 2010 le label européen IGP qui garantit une protection de la dénomination "Mogette de Vendée" sur tout le territoire de l'Union Européenne. Youpi yahou.
Bref, sans plus m'étendre sur le sujet, lorsque vous entendez le mot « mogette », il est plus que temps de vous exclamer : « Vendée moi du rêve et laissez-moi partir ! ».

Et c'est effectivement ce que je n'ai pas fait. Puisque comme je le disais précédemment les mogettes, symboles d'une campagne puante et ennuyeuse, se sont révélés être le point de départ de ce qui me lie aujourd'hui à l'amour de ma vie.
Je devais en effet acheter des mogettes pour le repas de famille du lendemain quand je me suis cognée au mec le plus mignon de la planète. Je sais pas trop si je suis tombée amoureuse à ce moment là ou quand il m'a gueulé dessus. Peut-être après en regardant ma bosse.
Bref, ce n'était pas un coup de foudre mais un coup de mogette. Je n'ai plus jamais revu le mec après. Mais j'avais l'impression de le retrouver à chaque fois que je mangeais des mogettes. Alors j'ai fini par ne plus manger que ça. Je crois même que si j'avais pu me transformer moi-même en mogette j'aurais accepté.
Au début, mes parents étaient plutôt contents, vous imaginez, j'étais enfin fière de représenter mon département en demandant à manger de bonnes grosses mogettes à tous les repas. Et puis je crois qu'ils se sont inquiétés quand j'ai déclaré que je ne voudrais jamais sortir de mon département pour mes études, arguant que si je devais partir les mogettes me manqueraient trop.
Je me suis inscrite – bien obligée – à la fac de la Roche sur Yon. Vous ne savez pas où est la Roche sur Yon ? Oh... Retenez que c'est la moins petite ville des villes de Vendée et la seule qui permette de poursuivre ses études après le lycée.
Après la fac, j'ai continué à manger des mogettes, j'ai commencé à exercer le métier de mogette, j'ai pris une mogette avec vue sur champs de mogettes qui me permettait de mogetter tous les soirs, et je me suis mariée à une mogette qui avait une petite saucisse. Ce n'est pas aussi bon que le jambon de Vendée mais ça cale. Ensemble nous avons eu plein de petites mogettes et nous vivrons très mogettes jusqu'à la fin de la mogette.

Je n'ai cependant pas oublié le mec du coup de mogette. Et je vous jure, si je le retrouve... JE LE MOGETTE !

Thomas touille son café d'un air morose. Il n'aime pas le café de ce restaurant. Trop fade. Dehors, il pleut de cordes. Quel temps de merde, songe-t-il. Il n'aime pas non plus la pluie. Trop froide. Il balaye du regard la clientèle présente. Des gens pressés, engoncés dans un costume gris, qui prennent un déjeuner sur le pouce, sans prendre le temps de sourire. A cette époque de l'année, les touristes se font rares. Même les japonnais désertent la capitale. Ne restent que les Parisiens, habitués à la grisaille ambiante. Habitués à faire la gueule en toutes circonstances. Il replonge dans la lecture de son journal. La crise progresse. Trois journalistes décapités par des terroristes. Une école maternelle prend feu : cinquante-sept enfants décédés, une centaine gravement brûlés. De parfaites excuses pour ne pas sourire. La clochette de la porte tinte, un nouveau client entre. Il pousse un soupir agacé. Il déteste le son faussement guilleret de cette cloche. Il déteste voir une masse grisâtre de plus s'attabler. Il lève un œil distrait sur la silhouette qui vient de franchir le seuil, avant de la dévisager plus franchement. Elle sourit. La femme qui vient d'entrer sourit. Pas un sourire franc, juste un petit sourire timide, qui soulève le coin droit de ses lèvres en une petite moue charmante. Mais un sourire quand même. Ses cheveux roux, dégoulinant de pluie, frisottent sauvagement autour de son visage. Les lumière jaunâtre des spots se reflètent dans ses yeux noisettes en y formant une myriades d'étoiles. Elle a un petit air penaud, comme si elle s'excusait d'être là. Une provinciale, se dit Thomas. Elle lui donne envie de sourire, à lui aussi. Tous les habitués, eux qui ne prêtent jamais attention à rien, la fixent. Mettant fin à la torpeur générale, une serveuse s'avance vers elle en se déhanchant.
« Bonjour Mademoiselle, vous voulez déjeuner ? Je vous en prie, installez-vous. »
Elle s'exécute et prend place à la table voisine, sans perdre son air de petite souris qui ne veut pas déranger, avant de jeter un œil au menu. Thomas se demande ce qu'elle va commander. Pavé de biche et son fagot de haricots verts ? Filet de dorade sur son lit de légumes sautés ? Elle hésite, puis lève les yeux vers la serveuse en rougissant légèrement.
« Excusez, moi, vous n'auriez pas plutôt... de la mogette ? »
Son interlocutrice affiche un air effaré.
« Pardon ? De la... De la mogette ?
- Euh... Oui ?
- Je suis désolée, j'ignore ce que c'est, mais nous n'avons pas de cela ici. Je vous conseille plutôt nos poissons qui...
Vous ne connaissez pas la mogette ? C'est pourtant l'une des bases de la gastronomie ! »
Thomas éclate de rire, s'attirant les regards noirs de quelques clients. La jeune femme se tourne vers lui, la mine défaite.
« Monsieur, vous devez bien connaître la mogette tout de même ?
- Moi oui, Mademoiselle ! s'exclame-t-il. Mais ça n'est pas ici que vous en trouverez !
- Non ? Mais je croyais pourtant que Paris était la ville de la gastronomie !
- Hum, oui... Mais, les mogettes... Vous êtes vendéenne Mademoiselle ?
- Oui ! acquiesce-t-elle en souriant. Comment avez-vous deviné ?
- Oh, l'instinct, Mademoiselle, l'instinct... »
Elle paraît totalement déboussolée. Thomas esquisse un sourire attendri devant cette petite créature sans défense, cette jolie ligérienne qui ne connaît que sa terre d'origine. Un détail cependant le surprend. Où sont donc sa salopette et ses bottes en caoutchouc ? N'est donc pas la tenue de tous les ploucs qui vivent hors de Paris ? Se pourrait-il qu'elle ne vienne pas d'une famille d'agriculteurs ? Non, impossible ! Thomas lui tend la main.
« Venez, je vais vous faire visiter la Ville Lumière. Et vous trouver de quoi manger. »
Elle hésite, prend sa main. Se levant, elle le suit en adressant un geste désolé à la serveuse décontenancée. Ils sortent, et s'avancent sur les bords de la Seine. Pris d'une soudaine envie, Thomas la prend par la taille et entame avec elle une valse folle sur les pavés sales. Elle tournoie, la tête rejetée en arrière. Ses cheveux volent dans l'air pluvieux, elle éclate de rire. Un rire franc, pas un petit rire pincé de parisienne. Les passant les dévisagent, sous leur parapluie, et leur mine se fait plus renfrognée. Thomas rit avec elle, à gorge déployée. La tête leur tourne, ils s'adossent contre un mur. Il la prend dans ses bras.
« Je crois que je suis en train de tomber amoureux, ma tendre petite brioche ! Vous êtes arrivée dans ma vie comme un rayon de soleil !
- Oh, moi aussi, je vous aime !
- Mais je ne connais même pas votre nom ! Dîtes-le moi vite, ne me faites pas languir ainsi !
- Je m'appelle Gertrude, et vous, dîtes-moi le vôtre !
- Mon nom est Thomas, ma belle briochette ! »
Dans un élan d'amour fou, ils s'embrassent passionnément, avant de disparaître dans une ruelle, pour aller faire plein de petits jambonneaux.
FIN.