IskupitelSire de Picardie, Souverain des Isles de Coupe et de Pitel Messages : 496 Date d'inscription : 26/07/2014 Age : 26 Localisation : Ouest de la France | Sujet: Philosophie de Baleine [P] Jeu 1 Jan - 18:36 | |
| Muse du jour : Dys ( ). J'ai l'honneur de vous présenter le 100ème texte de Zéphyr Embrasé ! - Citation :
ACTE UNIQUE
SCÈNE UNIQUE. THÉOBALD, PHALAINIE
THÉOBALD La plaine dorée s'étend devant moi, et derrière moi se trouve l'océan.
PHALAINIE L'océan ?
THÉOBALD C'est de lui que tu proviens. Ne sais-tu rien sur lui ?
PHALAINIE Rien du tout.
THÉOBALD Il n'existe déjà plus.
PHALAINIE Qu'est-ce-à-dire, Théobald ?
THÉOBALD Ce que je ne regarde plus disparaît.
PHALAINIE Comment le sais-tu ?
THÉOBALD C'est un fait.
PHALAINIE Que se passera-t-il si je regarde là où tu ne le fais ?
THÉOBALD Tout réapparaîtra.
PHALAINIE Tout ?
THÉOBALD J'en suis aussi persuadé que tu es une baleine. Peux-tu nier ta condition terrestre ?
PHALAINIE Aucunement... Je suis donc une baleine, c'est cela ?
THÉOBALD Oui.
PHALAINIE Que font les baleines de leur temps et de leur vie ?
THÉOBALD Elles nagent et parcourent l'immensité bleue qu'est l'océan.
PHALAINIE Nous en revenons à l'océan.
THÉOBALD En effet. N'est-il pas source de toute vie, tout être n'a-t-il pas envie d'y retourner ?
PHALAINIE Je vais donc regarder dans ton dos. Tout est réapparu.
THÉOBALD N'est-ce pas exactement ce que je disais ?
PHALAINIE Tu as dis que ce que tu ne regardais pas disparaissait.
THÉOBALD Et que si toi tu regardais tout réapparaîtrait.
PHALAINIE Tu t'es donc toi-même contredit.
THÉOBALD Comment puis-je être sûr que ce que tu dis est vrai ?
PHALAINIE Tu ne le peux.
THÉOBALD Ainsi, j'ai une théorie. En effet, même si l'Univers veut me le cacher grâce à des personnages comme toi, le monde a été fait pour moi, et moi seul. Aussi ne peux-tu rien voir, car tu n'es qu'illusion. Et si d'aventure je cherchais à vérifier qu'il n'y a rien derrière moi, l'Univers réapparaîtrait. Ce que je vois existe car je détermine ce qui est nécessaire.
PHALAINIE Doit-on forcément – je parle de l'Univers – ne faire exister que ce qui est nécessaire ? En admettant que je fasse partie de cette théorie, pourquoi l'inutile, le futile ne pourrait-il pas prendre forme ?
THÉOBALD Je considère futile et dispensable ce qui n'existe pas.
PHALAINIE Voilà qui est plus logique.
THÉOBALD Si je me retourne à présent et que je te fais dos, tu n'existeras plus, car tu fais en réalité partie du décor.
PHALAINIE Mais si je peux toujours te parler ?
THÉOBALD Alors ce sera que l'Univers tente de m'embrouiller. Même si tu n'existes plus, du son sera émis de nulle part, pour me faire croire que j'ai tort. Surpris, je me retournerai, découvrant que tu es encore là. Mais, ayant fait volte-face, tu auras recouvré ton existence.
PHALAINIE Que penserai-je alors ?
THÉOBALD Tu ne peux penser ; tu es le fait de l'Univers. Tu es un élément du décor, te dis-je.
PHALAINIE J'ai pourtant bien l'impression de pouvoir penser et agir de mon propre chef. Il ne me semble pas subir de retenue d'un mur quelconque. Si je veux bouger, je le peux.
THÉOBALD En es-tu sûre ?
PHALAINIE Je pense que oui.
THÉOBALD Alors, bouge. Tu vois, tu ne le peux.
PHALAINIE Tu as pourtant dit que les baleines parcouraient les étendues océanes.
THÉOBALD C'est le cas. Et alors ?
PHALAINIE Je dois pouvoir bouger pour faire cela.
THÉOBALD Voilà qui me contredit grandement... plus que je le souhaite. Mais dis-toi que toi tu ne peux bouger. Quand bien même tu es une baleine, ce n'est pas pour rien que tu es en dehors de l'eau.
PHALAINIE Je ne me souviens pas avoir jamais été baignée.
THÉOBALD C'est sûrement car tu ne l'as jamais été. Ta vie se résume à être une baleine échouée sur une plage, loin de toute marée et sans espoir de retourner vivre là où tu le devrais.
PHALAINIE Je ne peux m'y résigner.
THÉOBALD Tu le dois pourtant.
PHALAINIE Comment puis-je accepter que je ne suis rien ? Comment, après plusieurs années de vie sur cette plage, puis-je convenir et admettre que je ne suis rien ?
THÉOBALD Tu n'es pas rien, Phalainie. Tu es l'Univers.
PHALAINIE Non, je ne suis pas l'Univers. C'est l'Univers qui est moi. Quoi que je souhaite faire, c'est en réalité l'Univers qui souhaite. Cette façon de voir les choses, Théobald, si tu dis vrai, n'est que folie pour les membres de l'Univers. Ne souhaites-tu la réviser ?
THÉOBALD Réviser ma théorie c'est avouer qu'elle peut être erronée. Je refuse cela.
PHALAINIE Pense à moi, Théobald.
THÉOBALD Pourquoi le devrais-je ? Si je suis d'accord avec moi-même, tu n'es rien.
PHALAINIE Je ne suis pas rien !
THÉOBALD Pourquoi serais-tu ?
PHALAINIE « Cogito ergo sum » a dit le sage.
THÉOBALD « Sum ergo cogito » préférais-je dire.
PHALAINIE Comment peux-tu affirmer que je n'existe pas ? Quelle est alors ma voix ? D'où provient-elle si ce n'est du corps matériel, physique et palpable qui est le mien ?
THÉOBALD Elle provient de l'Univers. Elle provient de ma tête et de mon imagination. Si ton corps semble palpable, c'est seulement car l'Univers a ses frontières ici.
PHALAINIE Qu'est-ce-à-dire ?
THÉOBALD À l'intérieur de toi, c'est le néant. La seule chose palpable en dehors de moi ce sont les limites de l'Univers.
PHALAINIE Mais si on m'ouvre ?
THÉOBALD Alors les frontières de l'Univers se modifieront et incluront ton corps.
PHALAINIE Ainsi, tu insinues que je possède un corps sans qu'il puisse être existant dans cet univers.
THÉOBALD C'est ce que je pense.
PHALAINIE Où existais-je, alors ?
THÉOBALD Dans un autre univers.
PHALAINIE Lequel ?
THÉOBALD Je n'en sais rien ; car je ne connais que cet univers-ci. Peut-être ton univers est-il centré sur toi comme celui-ci l'est sur moi. J'existe donc ici, mais pas dans ton univers, où je ne suis qu'un élément du décor. Comme tu l'es ici.
PHALAINIE Est-ce possible à vérifier ?
THÉOBALD Je ne pense pas que ça le soit. Mais cela expliquerait ta capacité à penser et à agir de ton propre chef.
PHALAINIE Et cela conforterait ton hypothèse dans le même temps.
THÉOBALD Si tout le monde est gagnant, qui peut s'en plaindre ?
PHALAINIE Dieu. Les dieux sont tout.
THÉOBALD Les dieux ne sont pas tout, Phalainie. Ce ne sont pas les dieux qui t'ont créée.
PHALAINIE Alors, c'est Dieu qui peut s'en plaindre.
THÉOBALD Cela serait légitime du fait de ses pouvoirs. Mais qu'en serait-il de son rôle ?
PHALAINIE Son rôle ? Quel est-il ?
THÉOBALD Veiller à la pérennité du monde.
PHALAINIE Il y a plusieurs mondes.
THÉOBALD Non : il y a plusieurs univers, qui constituent un seul monde.
PHALAINIE Universel est plus important que mondial, pourtant.
THÉOBALD Cela est uniquement dû à une idiotie humaine supplémentaire.
PHALAINIE Mais pourquoi n'y aurait-il pas plusieurs mondes, s'il y a plusieurs univers ?
THÉOBALD S'il y a plusieurs mondes, ils ne peuvent être interconnectés et Sont radicalement différents.
PHALAINIE Peut-être peut-on passer d'un univers à un autre ?
THÉOBALD Évidemment nous le pouvons !
PHALAINIE Prouve-le-moi, en ce cas. Traverse temps et espace, deviens-en maître, et montre à la baleine que je suis que le sucre est source de vie.
THÉOBALD Comment le pourrais-je ?
PHALAINIE Va dans un univers sans sucre et remarque qu'il n'y a aucune forme de vie.
THÉOBALD Les univers sont les mêmes, ainsi que je te l'ai déjà dit. Si tu veux un endroit sans sucre, va dans un autre monde.
PHALAINIE Ainsi, on ne peut prouver ceci.
THÉOBALD Mais je te prouverai que je peux dédoubler mon bras.
PHALAINIE Soit ; va.
THÉOBALD Hélas, je ne le peux de suite, car le dieux ne m'autorisent pas tous les jours à changer d'univers.
PHALAINIE Quand le pourras-tu ?
THÉOBALD Je ne sais.
PHALAINIE Je m'ennuie. Te voir tenter de changer d'univers m'aurait distraite.
THÉOBALD Je n'y puis rien, hélas.
PHALAINIE Alors, rends-moi à l'océan.
THÉOBALD Si tel est ton désir. Mais je me sentirai seul.
PHALAINIE J'ai dit que c'était là que je devais être. Je ne fais que suivre ce que souhaite la nature. Rends-moi à l'océan.
THÉOBALD Soit. Mais es-tu bien sûre de ne pas vouloir y réfléchir à nouveau avant ?
PHALAINIE Je n'ai plus aucune raison de rester ici.
THÉOBALD Tu m'as moi.
PHALAINIE Oui, et je t'aurai dans mon cœur jusqu'à la fin de ma vie. Je n'ai donc pas besoin de rester à tes côtés.
THÉOBALD J'ai envie de mourir.
PHALAINIE Et si tu meurs, que se passera-t-il pour l'univers ?
THÉOBALD Je pense qu'il disparaîtra après avoir implosé.
PHALAINIE Ainsi tu ne peux te permettre de mourir.
THÉOBALD Ainsi tu ne peux te permettre de partir.
PHALAINIE Tu dois pouvoir survivre sans moi.
THÉOBALD Ton absence serait une charge trop lourde pour l'essieu de mon âme.
PHALAINIE Je ne peux pourtant chasser de ma tête l'image attirante de l'océan dont tu m'as parlé.
THÉOBALD C'était donc une erreur que de t'en parler, tout décor que tu sois.
PHALAINIE Ce n'était pas une erreur, car tu m'as redonné la joie.
THÉOBALD C'était une erreur, car je t'ai perdue.
PHALAINIE Ne peux-tu rien faire pour me sauver ?
THÉOBALD Je ne le veux pas.
PHALAINIE Il est pourtant de ton devoir de me porter assistance et d'aider une baleine à rejoindre l'océan dont elle provient.
THÉOBALD Ainsi soit-il, alors. Espérons que l'univers persistera après ma mort. C'est triste, car j'avais compris la vie. Souviens-toi toujours d'une chose, Phalainie : « Sum ergo cogito ». |
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