Dans une contrée où la magie régnait, se trouvait une haute montagne couverte de neige éternelle qui, les jours ensoleillés, brillait comme un phare. Les flancs de cette montagne étaient parsemés d'habitations et de bâtiments, en pierre et en bois, en partie construits dans la roche même du relief. Et tout au sommet il y avait le plus majestueux et le plus magnifique temple de ce monde. C'était là que vivait la prêtresse, la grande Voyante, celle qui voyait tout ce qui avait été, tout ce qui était et tout ce qui serait. Tous venaient la voir pour obtenir ses conseils, des paysans aux rois, des petits garçons aux vieilles matrones, tout le monde venait la consulter au moins une fois dans sa vie. Mais un jour la prêtresse fut lassée de ce va et vient incessant, de toutes ces attentions que son pouvoir lui attirait. Elle avait été élevée dans ce temple depuis toujours, destinée à voir l'avenir des autres et à les guider dans leurs choix. Alors elle décida de fermer ses yeux, ne plus parler et d'imaginer tant de choses qu'elle ne pourrait plus avoir de visions, que ce soit du passé, du présent ou du futur. Tous, les servantes, les gardes et les visiteurs, se rendirent compte qu'un mal invisible s'était emparé de la grande Voyante.
Personne ne savait que faire, on se lamentait, pleurait sa mort prochaine. Toutes sortes de guérisseurs, médecins et savants furent envoyés à son chevet, mais personne ne savait comment la sortir de sa torpeur. Et tandis que le temps passait, la santé de la prêtresse faiblissait.
Parmi tous les êtres de cette contrée, il y en avait un, qui, dans le secret de son cœur, la pleurait plus que quiconque. C'était l'un de ses gardes, un homme discret qui admirait tous les jours, sans mots dire, la grande Voyante. Un soir, ayant perdu tout espoir de la voir se remettre, le garde s'assit auprès de son lit et se mit à parler. Ou plutôt il se mit à raconter ses voyages dans divers pays, parfois dans des lieux isolés mais empreints d'une beauté brute. Les mots sortaient de sa bouche sans qu'il ne se sache ce qu'il disait. Il finit par se rendre compte que la prêtresse avait ouvert les yeux. Mais avant qu'il ne songe à prévenir qui que ce fût, elle lui souffla de continuer. Sans trop savoir comment, le garde reprit son récit sous les yeux captivés de la femme. Quand il ne sut plus quoi dire, il se tut. L'aube se levait alors. Doucement la prêtresse prit la parole pour la première fois depuis des semaines : "Ce que tu m'as décrit, je l'ai vu mille fois dans mes visions. Alors pourquoi est-ce que tout cela semble plus vivant quand c'est toi qui le racontes ?"
Le garde ne dit rien mais lui tendit la main pour l'aider à se relever.
Ce matin-là, alors que tous les autres se réveillaient à peine, la prêtresse et son garde s'enfuirent.
On ne revit aucun d'eux pendant des années, tandis que les rumeurs les plus folles couraient.
Et un beau jour, contre toute attente, la prêtresse revint. Seule. Une grande tristesse transformait ses yeux en abîmes. Mais elle refusa de parler, sauf pour donner les conseils qu'on venait lui réclamer. On ne sut jamais ce qui était arrivé au garde, ni où elle avait passé toutes ces années.