Mal de mer, mal de terre... Un petit texte que j'me suis décidée à écrire pour Lu' ^^ (J'emmène mon radiateur perso dans mon sac la prochaine fois )
Ah, et j'l'aime pas trop, j'pourrais avoir des conseils ? Nouvelle vague.
J'ai l'impression que mon cœur s'envole dans ma poitrine, puis s'écrase à l'intérieur. J'en suis à me demander comme ça se fait qu'il ne soit pas encore sorti. Le bateau claque contre la mer, le hublot au-dessus de ma cabine se fait submerger par l'eau salée, et voilà la coque qui repart encore à l'assaut d'une nouvelle vague. Si mon cœur ne transperce pas ma peau, il sortira sûrement par ma gorge, en même temps que le contenu de mon estomac... Pas que je sois sujette au mal de mer d'habitude, mais quand vous êtes dans la cabine avant d'un First 36.7 malmené au près dans 35 nœuds de vent depuis deux jours, quelque part entre la Bretagne et l'Irlande, du côté des îles Scilly... J'vous assure que vous risquez de vous découvrir un léger mal de mer. Enfin, je n'ai pas vomi, c'est déjà ça... Mais de toutes façons, qu'est-ce que je pourrais vomir ? Même mon père, le capitaine et skipper du bateau, le plus en forme, n'arrive plus à rester dans la cuisine assez longtemps pour nous préparer de quoi manger, et de toute façon même s'il s'était contenté de sortir un paquet de biscuits on y aurait pas touché.
Des cris sur le pont.
Parés à virer ? On vire ! Je soupire, et tente de me réinstaller pieds contre le côté qui sera en bas, puis abandonne.
Le temps d'enfiler la tenue de survie - jean, pantalon en ciré, pull, polaire, ciré doublé, gilet de protection... juste de quoi trembler un peu moins, même si tout est définitivement trempé, à part mon sweat que je garde précieusement pour l'intérieur - et je tente de me mettre à quatre pattes pour rejoindre le bord de ma couchette. Une nouvelle vague me fait m'envoler à moitié, je me hâte de sortir de ma cabine avant de me prendre le plafond en me remettant debout, et, m'agrippant comme je peux à la table repliée, j'enjambe le mélange de coussins, gilets, cirés et pulls qui jonchent le sol, tous aussi trempés, jetés là avant de se laisser tomber allongé sur sa couchette pour ne pas trop avoir le mal de mer. Mon frère aîné a même abandonné la partie déshabillage, il est trop malade : en sortant de quart il se couche habillé, et s'il ne fait pas trop mauvais il va se trouver une place entre les bouts pour dormir sur le pont.
Une vague m'envoie valser contre le bord de la cuisine, je grimace quand mon genou m'envoie un élancement de douleur et me plie en deux en m'agenouillant. 'tain...
Alors que je tente de me redresser, une nouvelle vague inonde totalement le pont et rentre à l'intérieur du bateau. J'attends le moment où je pense avoir le plus de chance de sortir sans me casser la gueule à nouveau, et me rue sur le petit escalier, ouvrant un peu la vitre coulissante au-dessus pour sortir sans avoir besoin de ramper. Je m'agrippe au bord de la montée en attendant que la vague passe, puis sors, ferme la vitre en plastique et rejoins rapidement ma mère qui barre, pour m'asseoir avant la prochaine vague. Le temps d'accrocher le mousqueton à la ligne de vie - obligé en gros temps, histoire qu'on passe pas par-dessus bord, on a beau avoir travaillé la manœuvre d'homme à la mer au début je meurs pas d'envie d'un bain froid à durée indéterminée - je tremble déjà de froid. Coup d’œil aux appareils au-dessus de la montée : vent à 28 nœuds -tiens, une rafale, 36, puis il repasse à 29 - on file à 7,6 nœuds, mais même si on est au près serré, les courants nous déportent, nous faisant faire un cap à presque 90° de notre but, et ça sera identique si on virait à nouveau. La date d'arrivée se repousse encore... On sera bon pour une nouvelle nuit en mer avant de se poser un instant aux Scilly. Je me remémore rapidement mes futurs quarts : 16h-20h, un cool, puis 2h-6h, au moins je verrai le lever du soleil si les nuages dégagent un peu, 12h-16h... Et non, j'espère bien qu'on sera arrivé avant celui de 22h-2h et que je serai en train de me faire une magnifique nuit à l'ancre bercée par un simple clapotis des vagues contre la coque...
Je m'agrippe à ma ligne de survie pour ne pas glisser en bas du pont, et regarde la mer. Allez, c'est quand même beau... Les vagues se dressent devant, semblant à chaque fois prêtes à engloutir notre Spirit qui se cabre dessus puis plonge, comme pour jouer avec et les laisser escalader sa proue, souvent glisser sur le bord pour venir nous tremper les fesses et les pieds, parfois bondir au-dessus du pont et s'engouffrer autant dans le bateau qu'à l'intérieur de nos cirés.
Le ciel est gris, heureusement pour nous on devrait passer entre les deux grains qui menacent devant - on a déjà pris les deux ris de la grand-voile et les trois du génois, et je pense que ce n'est pas la peine d'imaginer affaler la grand-voile dans ce temps, on aurait peut-être viré le foc à la place.
Les moutons à tribord semblent soudainement s'envoler au-dessus de la mer et décrire un arc de cercle avant de replonger dans la mer... Un grand sourire de gosse émerveillé prend place sur mon visage.
Les dauphins s'approchent encore et viennent frôler la coque du bateau, jouant dans les vagues qu'ils créent et glissant sous la coque de tribord à bâbord et de bâbord à tribord. Ce ne sont pas les premiers qu'on voit, et même si je ne peux pas là aller m'asseoir à l'avant, jambes pendantes, pour les regarder sauter à une dizaine de centimètres de mes pieds, le spectacle est toujours magique.
Je les fixe, admirant leurs figures et leur légèreté tandis qu'ils rendent la coque qu'ils effleurent grotesque et lourde, mais après peut-être un quart d'heure les derniers restants plongent pour ne plus réapparaître...
Des gouttes de pluies commencent à se rajouter aux embruns, tandis qu'au-dessus de nous le ciel tourne obstinément au noir. Finalement on échappera pas au grain. Tant pis, je suis heureuse d'être ici...