Le petit parachute me nargue entre mes doigts. Je le fais rouler, je l’examine dans tous les sens, sous toutes les coutures. Il est comme avant. Comme avant, comme avant… Ce parachute de l’armée de l’air, en argent et en or, ce petit parachute, ses ailes sur les côtés, sa couronne de laurier et l’étoile symbolisant le parachutiste. Cette décoration qui roule entre mes doigts. Ça fait deux ans que je l’ai cette décoration. Deux ans. Mais ça ne te remplace pas. Ça ne te remplaceras jamais. Ce n’est qu’une décoration que l’on porte à son veston. Ce n’est qu’une décoration… Et pourtant. Pourtant elle me fait pleurer. Elle me fait pleurer à chaque fois que je la vois. Parce que ce n’était pas sur n’importe quel veston qu’elle trônait cette petite décoration. C’était sur le tien. Et ça me fait chialer de penser qu’elle est entre mes doigts au lieu de décorer ta poitrine. Ça me fait chialer que tu sois devenu une étoile comme tu l’étais avant. Parachutiste. Et ce petit truc d’un centimètre de long continue de me faire chialer. J’ai envie de crier. Et ça fait deux ans que ce cri est tapi au fond de ma gorge. Et bien sûr, ce cri, je sais qu’il y restera. Toujours. Il pourra jamais en sortir. Jamais.
Et le parachute me regarde pleurer. Mais ce n’est pas lui qui pourra te ramener. Personne peut te ramener. Personne. Et moi je reste là à pleurer, mon cri au fond de la gorge, les mains autour de ma tête avec mes souvenirs en or et ceux qui font mal. Et le problèmes c’est que quand t’es comme ça, y’a que ceux qui font mal qui viennent te hanter. Ceux qui font mal, ce sont ceux qui t’achèvent. Ceux qui te font tomber par terre de douleur, les jambes ramenés près de la poitrine et la tête cachée. C’est ceux que tu revois tout le temps. Qui reviennent en boucle. Je l’ai déjà vu ce film. Des centaines et des centaines de fois. Mais je peux pas lui échapper. La salle de cinéma, c’est ma tête. Ma prison, c’est ma tête.
Ma prison c’est ma tête, c’est ma tête. Ma prison, ce sont mes souvenirs. Mes souvenirs de cette journée trop belle, trop chaude. Cette journée trop salée. Mes souvenirs de gens qui viennent, partent, t’adressent un mot dans leur costume noir, sous leur chapeau sombre et puis qui s’en vont comme ils sont venus. Mes souvenirs, ce sont le cercueil et son drapeau français avec les roses dessus. Des roses jaunes. Parce que ce sont les plus belles. Mes souvenirs, ce sont les couloirs blancs, les gens blancs, les draps blancs. Ta peau blanche. Et les bleus sur tes bras, sur ton corps. Et ta voix qui me disait que ça allait bien, que tu allais revenir en pleine forme et qu’on irait encore faire ces balades à vélo tous les deux. Et je voulais te croire…
Et maintenant, il y a ce parachute ridicule qui me regarde. Qui me demande ce qu’il fait dans ma main. Qui me demande pourquoi il est toujours dans le noir au lieu de sur ta poitrine. Et je pleure. Je pleure. Je pleure le passé parce que le présent me fait mal. Je pleure ce petit parachute. Je pleure son étoile.
Et le petit parachute retourne dans sa pochette noire. Jusqu’à la prochaine fois. Jusqu’à la prochaine fois que j’aurais besoin de le ressortir. Jusqu’à ce que je sente à nouveau mon cri. Jusqu’à ce que j’ai le besoin de me rappeler. Jusqu’à un autre jour, un autre soir, une autre matinée où j’aurais besoin de le voir.
| qu’y s’en vont => qui s'en vont le plus belles => les plus belles |