Je m'en rappelle encore ... A l'époque les films qui parlaient d'Apocalypse racontaient qu'un événement soudain en était à l'origine. Mais en réalité il est difficile de dater précisément la fin du monde. Était-ce quand un virus a détruit les systèmes informatiques de dizaines d'agences gouvernementales à travers le monde ? Ou quand une variante de la rage a transformé la quasi-totalité de la population cubaine en zombies ? Ou était-ce encore avant, quand des centaines de centres de traitements de l'eau en Chine ont explosé ?
Peu importe, ce qui compte c'est le résultat final de toutes ces catastrophes : la fin du monde tel qu'on le connaissait. Aller l'école ou au travail, sortir avec les amis, jouer sur l'ordinateur, la console ou le portable, les plats déjà prêts achetés au supermarché du coin. Désormais ça n'existe plus. Aujourd'hui nous sommes tous, sans exception revenus à un mode de vie auquel l'humanité n'était plus habituée : se battre continuellement pour la survie.
Sur le ponton artificiel, fait de débris de bois et de plastiques, trois enfants me regardent vérifier encore une fois le contenu de mon sac.
"Mais Sid ... Tu n'as pas peur ?"
C'est le petit Tony, neuf ans et des taches de rousseurs qui me pose la question. Je referme d'abord soigneusement mon sac que je laisse au fond la barque. Après être remontée sur le ponton, je me mets au niveau des trois enfants.
"Et vous, vous avez peur ?"
La petite blonde huit ans, Elia, et son jumeau Dan hochent doucement la tête, suivis de peu par Tony.
"C'est normal, tout le monde a peur. Moi aussi.
- Alors pourquoi tu y vas ?"
La petite Elia a les larmes aux yeux en me questionnant. Je la prends dans mes bras et la serre fort, l'odeur du savon traditionnel du Refuge à base de lavande envahissant mon nez.
"Parce qu'il faut le faire si on veut que tout le monde au Refuge aille bien. Et moi je reviens toujours de toute façon, je lui souffle dans l'oreille assez fort pour que les deux autres entendent.
- C'est vrai ? chuchotte-t-elle.
- Bien sûr, ce n'est pas la première fois que je pars. Ne t'inquiète pas, Elia je reviendrai à temps pour votre anniversaire à toi et Dan."
Lentement elle se sépare de moi et essuie ses larmes. Je fais un câlin au deux autres et saute dans petit bateau.
Le petit moteur menace plus d'une fois de lâcher en cours de route mais finalement au bout d'une heure je vois la côte. J'arrête alors le bateau et fixe les rames qui gisaient au fond de l'embarcation de chaque côté de ma barque. J'espère qu'il fait assez sombre pour que quiconque à terre ne me voit pas, mais ça je ne le saurai que lorsque je serai arrivée. De toute façon dans ce genre d'équipée, le plus difficile c'est toujours et encore de ne pas se faire repérer. Et pourtant le nombre de créatures qui vous guettent est impressionnant. Plus je m'approche de la côte et plus j'observe attentivement les détails : des centaines d'épaves de cargos jonchent l'ancien port industriel. Ci et là des cadavres gisent, certains avec des veines si noires qu'elles tranchent avec n'importe quelle couleur de peau. Ces cadavres-ci n'ont plus de têtes ou alors elles sont fracassées. Clairement ce sont d'anciens zombies. Vous me direz, les rares scientifiques encore en vie contesteraient l'emploi du terme "zombie" mais qui s'en soucie ? Le bruit du vent s'infiltrant dans les vestiges des mastodontes de métal domine, mais je me concentre sur ce qui se cache derrière. Là est-ce que c'est un chuchotement de voix humaines ? Et tout de suite est-ce que c'était un grognement ? Comme d'habitude à mesure que je navigue entre les ruines je sens la chair de poule couvrir mon corps. Par chance le goût du sel sur ma langue calme d'éventuelles nausées. Je me concentre à nouveau mais aucun bruit dérangeant ne se distingue clairement à mes oreilles, aucun mouvement brusque ne se fait apercevoir. Alors je rame vers une épave très proche du port. Éventré à bâbord j'y cache mon embarcation. Ce n'est pas la première fois que je le fais. Très lentement, tellement lentement qu'un paresseux en pâlirait de jalousie, je grimpe tout en haut de l'énorme bateau. Il me faut bien une quarantaine de minutes à cette vitesse pour y arriver mais je ne le regrette pas.
Si j'avais été plus rapide la bande de zombie sur le quai m'aurait repérée.
Et moi je ne les aurais pas vu.
Patiemment, sans bouger, j'attends. En plus d'avoir tous ces sens intacts, être patient est nécessaire pour ceux qui font mon job. Pour me maintenir alerte tout en restant immobile, j'essaie de me rappeler la fin de tous les films que j'ai pu voir. C'est fastidieux mais ça fait travailler ma mémoire. J'en suis au septième film quand les zombies relèvent tous la tête d'un coup. Je ne bouge pas d'un cil, réfléchissant à la meilleure chose à faire, ce qui est sans nul doute descendre aussi vite que possible et récupérer mon bateau.
Mais à mon grand soulagement ils se tournent dans une autre direction et se mettent en route. Visiblement d'autres zombies en ville ont trouvé des proies. J'espère que c'est des sales types, ou mieux des cannibales. J'ai pas du tout envie de penser que je dois ma survie à la mort de gens biens.
Quand je suis certaine que les docks sont désertés, je me glisse le long d'une vieille corde d'amarrage et pose les pieds sur le béton pour la première fois depuis des semaines.
Je me remémore mentalement la carte de la ville. Me guidant à l'oreille pour éviter l'attroupement de zombies qui doit se faire un festin quelque part, je me dirige au trot vers la sortie de la ville. Des ruines et des épaves de voitures jalonnent ma route. Un paysage devenu plutôt commun ces derniers temps. Ça doit être la mode.
Finalement j'arrive en fin de journée à ma destination : les vestiges d'une ville qui avait auparavant quinze mille habitants environ. Un peu perdu et éloigné, c'est le lieu idéal pour mes fouilles. Mais seulement demain, je ne tiens pas à parcourir un lieu inconnu en pleine de nuit. Au lieu de ça je met la main - c'est une image littéraire, je précise - sur un vieux chêne. J'y grimpe au sommet, m'attache à l'arbre et, après avoir avalé une ration d'eau et de nourriture, je m'endors.
C'est sous un ciel nuageux que je me réveille. Je bois un peu d'eau mais je préfère garder la nourriture pour plus tard. J'ai un ami qui prétend que l'esprit est plus acéré quand le ventre est vide. Pour ma part je suis un peu plus pragmatique : je ne sais combien de temps je vais rester à terre ni si j'arriverai à mettre la main sur autre chose à manger alors autant en garder pour plus tard. Sortant mes jumelles de mon sac à dos, je regarde attentivement la ville qui s'étend tout près. Je prends toujours mon temps pour examiner de loin les lieux, on peut toujours glaner des infos intéressantes comme ça, ne serait-ce que la géographie de la ville. La ville semble pas trop abîmée, les habitants ont dû pour la plupart partir de leur plein gré, sans doute pour retrouver de la famille ailleurs. Rien ne bouge, si ce n'est un drapeau ici, ou du linge étendu par là.
Du linge étendu ? Étrange il a l'air en bonne état. Un pressentiment s'empare de moi et je décide de prolonger ma période d'observation. C'est seulement quand de grosses gouttes de pluie commencent à tomber que j'en m'en félicite. Deux personnes s'activent soudainement à côté des vêtements : un adolescent filiforme et une femme d'une trentaine d'années toute aussi menue. Je les regarde disparaître, les habits dans les bras.
Tout porte à croire qu'ils vivent là et qu'ils ne sont pas juste de passage. Cela veut dire ni bêtes sauvages ni zombies. Le seul autre danger potentiel qui peut m'inquiéter ce sont les cannibales. Et si ces deux-là en sont, je ne tiens pas être au menu. De toute façon j'ai la peau dure, très difficile à digérer. Me reprenant j'établis un plan : j'entre dans la ville par les égouts. Peu ragoûtant mais efficace. Si jamais des gens se cachent à l'intérieur je le saurai très vite et j'aurai le temps de m'enfuir. Sinon il y a pas mieux pour se glisser en douce dans une ville. Si la voie est libre je ressors près de l'endroit où le linge était en train de sécher. Enfin je vais essayer de ressortir près de cet endroit. Mon sens de l'orientation me trahit rarement mais quand même. Repérant une bouche d'égout en bordure de la ville, je range en vitesse mes affaires dans mon sac, descends de mon arbre et me glisse aussi rapidement que possible à l'intérieur des canalisations de la ville, avant d'être complètement trempée. Une fois en bas je tends l'oreille mais n'entends rien. Alors silencieusement j'avance, attentive à n'importe quel détail dérangeant. Mais ma vigilance ne suffit pas et je tombe nez à nez avec une petite silhouette. En voyant l'enfant ouvrir grand la bouche je plaque aussitôt la main dessus et lestement j'utilise mon autre bras pour immobiliser le gamin. Il essaie de se défendre, mais il est visiblement sous-alimenté et il n'a aucune chance face à ma force. J'entends alors un appel venant d'un embranchement un peu plus loin :
"Jacky ? Ohé je t'ai déjà dit de rester près de moi mon grand."
Passant rapidement en revue mes options je décide de prendre le gamin avec moi et de ressortir des égouts. Je réalise vite que je vais avoir du mal à sortir d'ici sans bruit avec le petit Jacky sous le bras. Alors je m'éloigne le plus loin possible de la voix que je viens d'entendre, mes pieds touchant à peine le sol. Quand je pense être assez loin, je m'arrête trois minutes le temps de bâillonner le garçonnet avec un boit de tissu et de lui immobiliser les bras avec mon écharpe. L'opération est suffisamment rapide pour que Jacky n'ait pas le temps de me causer des soucis et tout se passe donc plutôt silencieusement.
Finalement je nous trouve une vieille maison tranquille, plutôt facile à défendre. Je sais que j'ai peu de temps, mais il faut que je récolte des informations, je ne peux pas partir comme ça. Posant un genou à terre, je regarde Jacky dans les yeux.
"Je sais que c'est difficile à croire mes je te veux pas de mal d'accord ? Je vais t'enlever le bâillon, te détacher les mains et de te donner quelque chose à manger, ça te va ?"
L'enfant a les yeux écarquillés mais ne fais aucun de signe de la tête. Je soupire et fais ce que j'ai lui dit. Il regarde suspicieusement la barre énergétique - faite maison - que je lui ai mis en main. Je souris, amusée malgré moi, et j'arrache un bout de la barre que j'avale tout rond. C'est le signal que devait attendre le petit parce que juste après il commence à manger presque sans mâcher. Je le regarde attentivement. Des cheveux bruns filasses lui couvrent la moitié du visage. Doucement je repousse ses cheveux en arrière, et je peux voir ses yeux verts craintifs me jeter un coup d’œil. Il a la taille d'un enfant de deux-trois ans, mais vu son alimentation je pense qu'on peut lui rajouter deux ou trois de plus sans se tromper, ce qui doit lui faire environ cinq ans. Il a quelques taches qui lui maculent les mains, mais sachant qu'on s'est rencontrés dans des égouts je le trouve plutôt propre.
Apres avoir fini, il me tend la serviette qui entourait la barre énergétique. Je l'utilise pour essuyer les miettes sur son visage et je lui dis mon prénom, Sidney.
"Jacqueline, fait la voix aiguë de l'enfant."
Je cligne plusieurs fois des yeux pendant que l'information remonte à mon cerveau. Je réprime un éclat de rire quand je comprends mon erreur : ce n'est pas "Jacky" mais "Jackie". Je me reprends avant de lui répondre.
"Enchantée de faire ta connaissance. Tu sais j'habite très loin d'ici, mais en dehors de chez moi, je croise très rarement des enfants. On s'occupe bien de toi ici ?
- Maman elle travaille très dur, rétorque Jackie. On n'a pas beaucoup à manger à cause des animaux qui mangent nos fruits. Et Ad'ien il arrive pas toujours à trouver des animaux dans ses pièges, mais Maman elle dit que ça pourrait être pire."
Je regarde gravement l'enfant et je souffle à voix basse "oui ça pourrait être pire". Maintenant je suis rassurée pour ce qui est de ma sécurité. Cette ville n'abrite pas des cannibales. Mais je pense aux zombies qui sont à une journée de marche, je pense à tous les dangers des environs et mon cœur se serre à l'idée que la maman de Jackie ne sera peut-être pas capable de la garder en vie très longtemps.
" Dis Jackie, vous êtes combien a vivre ici ?
- Ben il y a Maman, Léa, Matt, Tom et Ad'ien.
- Et toi."
La petite hoche la tête. Je lui souris et lui demande si elle peut m'amener là où elle habite.
Quand Jackie voit sa maman une demi-heure plus tard, elle se met à courir vers sa génitrice. C'est la femme que j'ai vu récupérer les vêtements. Le garçon qui l'accompagnait alors doit avoir une quinzaine d'années et me regarde hostilement. Je vois trois autres enfants qui doivent avoir entre six et onze ans, et qui me regarde avec peur.
"Qui vous êtes ? aboie le mâle le plus âgé.
- Adrien, met en garde la seule adulte du lot.
- Je m'appelle Sidney Fox."
Je vois la mère me lancer un regard acéré. Oh elle a compris la référence.
"Bon d'accord peut-être pas Fox. Mais Fox c'est qu'en même plus classe que Warren et puis je suis une sorte d'aventurière aussi."
Un sourire vient timidement se dessiner sur les lèvres de la femme et la ressemblance avec Jackie devient alors évidente. Quand à Adrien il a perdu un peu de sa morgue, visiblement conscient qu'un truc lui échappe. Profitant que l'hostilité soit un peu retombée, je reprends.
"Je viens d'une colonie installée sur une île. Je fais partie de ceux qui viennent à terre pour voir ce qui peut être récupéré, nourriture, eau, fournitures, médicaments, bref ce qui peut être utile en dehors d'objets précis qu'on me demande de récupérer.
- Des objets précis ? Demande la maman.
- Oui par exemple là on m'a demandé une pièce de remplacement pour des panneaux solaires qui alimentent nos générateurs électriques.
- Il y en a sur le toit de la clinique, remarque Adrien.
- Je sais c'est pour ça que je suis là. Mais j'ai aussi d'autres missions à part faire de la récupération. Je situe et j'évalue les menaces : cannibales, zombies, bêtes sauvages très dangereuses.
- Donc en gros vous savez où se trouvent les dangers les plus importants ? m'interroge l'adolescent intéressé.
- A peu près, les zombies bougent beaucoup, et les cannibales ratissent de grandes zones autour de leur QG, mais moi, et les autres qui viennent à terre comme moi, on se débrouille pas trop mal. Mais j'ai encore une autre mission vous savez."
Faisant fi d'une pause dramatique, j'enchaîne.
"Quand je rencontre des gens biens, s'ils le souhaitent, je les emmène avec moi sur l'île pour qu'ils viennent vivre avec nous. Comme vous, si vous voulez."
La maman de Jackie - il faut que lui demande son nom d'ailleurs - me questionne, la voix un peu enrouée, sur la vie sur l'île.
"On est environ 1500 à y vivre. On a optimisé tout ce qu'on a pu et on a rationné nourriture et eau, mais on est en sécurité, les enfants sont éduqués, on a des divertissements et on est suffisamment nourris. Alors sachant comment est le reste du monde, on s'est permis de surnommer notre île "Paradis". Vous et les enfants ne pourriez pas y être pire qu'ici.
- Qu'est-ce qui nous dit que ce n'est pas un piège ?"
Je hausse les épaules.
"Je n'ai pas de réponses à votre sujet."
Quatre jours plus tard.
C'est peut-être un peu cruel, mais je suis bien contente que mes six passagers n'aient que la peau sur les os, sinon on ne pourrait pas tous tenir sur le bateau. La grande question est : est-ce que ce fichu moteur sera capable de nous amener tous les sept, plus tout le matériel, à bon port ? Je ne parierai pas là-dessus. Pour info, j'ai rarement tort. Après un long trajet et s'être emballé quatre fois, le moteur ne redémarre plus.
Je suis aussi sacrément chanceuse. Nous sommes tombés en panne à moins d'un quart de mille de notre destination. Il n'y a plus qu'à sortir les rames.
Bien plus tard, quand je pose un pied sur le ponton, je vois Elia, suivie de son jumeau, courir vers moi. Les deux m'enlacent, visiblement contents de me voir.
"Tu vois je suis arrivée à temps pour ton anniversaire."
Elia le reconnaît d'un signe de la tête.
"C'est ton anniversaire ? demande Paula - la maman de Jackie - derrière moi.
- Oui ! s'exclament en même temps Elia et Dan."
Je fais les présentations tandis que des adultes nous rejoignent. Certains d'entre cachent mal leur impatience à l'idée d'en savoir plus sur ce qui s'est passé mais franchement je ne suis pas pressée. Je suis fatiguée et je me vois bien faire un somme avant d'aller offrir leurs cadeaux aux jumeaux ce soir. Dans le brouhaha du déchargement et des rapides explications, je sens qu'on tire ma manche. Je me retourne et me retrouve face à Paula, qui a les larmes au yeux.
"J'ai tellement de mal à y croire. Merci de nous avoir amenés ici. Je... Sans vous... "
Je la serre dans mes bras.
"De rien. Je suis contente de vous avoir amenés ici. C'est un grand changement, et c'est une nouvelle vie qui commence pour vous et les enfants, mais tout ira pour le mieux."
Je la confie à d'autres avant de m'éclipser pour aller faire une sieste.
| sans exceptions => exception (c'est encore plus fort au singulier, non ?) l'humanité n'était plus habitué => habituée facon => façon Je fais un câlin ou eux autres => aux deux autres ? le nombre de créature qui vous guette => le nombre de créatures qui vous guettent des veines si noirs => noires elle sont fracassées => elles un paresseux en pâlirai => pâlirait repéré => repérée récupéré => récupérer l'attroupement de zombie => zombies c'est dernier temps => ces derniers temps lieu idéale => idéal Si jamais des gens y se cachent à l'intérieur => se cachent à l'intérieur point que Jacky => pour que Jacky on s'est rencontré => rencontrés, non ? Oh, qu'on me donne la règle du « on » ! On a pas => on n'a pas animaux qui mange => mangent de sera => ne sera envie => en vie J'appelle => Je m'appelle une colonie installé => installée récupérer => récupéré brefs => bref utiles => utile que mes six passagers n'ont => n'aient j'ai rarement tord => tort Nous sommes tombé => tombés Je la confiai => confie |