Prologue
« Comme vous le savez tous, notre calendrier commence avec l'installation des êtres humains sur Mars. Il y a mille quatre cents quatre-vingt-dix-sept ans, les Trois Vaisseaux emmenèrent eau potable et survivants sur notre planète actuelle. Jusqu'à maintenant, nous vous avons surtout appris notre Histoire à partir de ce moment. Il est temps de s'intéresser à l'histoire de l'espèce humaine avant, lorsqu'elle vivait sur Terre. Quelqu'un saurait-il me dire combien de temps nos ancêtres ont vécu sur Terre ? » demanda le professeur d'Histoire.
Tâchant de me faire discrète, je jetai un coup d'œil autour de moi. La moitié de la classe somnolait, l'autre moitié tentait tant bien que mal de faire fonctionner leurs CMV - connecteurs au monde virtuel - malgré les brouilleurs de notre établissement scolaire. Seuls quelques irréductibles, dont moi-même, suivaient le cours. Non pas que l'Histoire soit ma matière de prédilection, je me destinais plutôt à l'Hydroscience. Mais savoir ce qui avait mal tourné sur Terre ne pouvait qu'être utile, histoire ne pas refaire les mêmes erreurs.
« Miss Leocairn ? »
Zut, pourquoi moi ?
« Heu ... On se base sur quoi comme point de départ monsieur ?
- Soyons francs Miss Leocairn ; est-ce que quelqu'un ici s'intéresse à l'Histoire de l'Homme avant qu'il n'ait appris à écrire ? »
Sa réplique déclencha des remarques à voix basse, sans doute sur le fait que presque personne dans la classe ne s'intéressait à l'Histoire de l'Homme après non plus. Après quelques calculs mentaux, je répondis:
« Environ sept mille ans, je crois.
- En effet Miss Leocairn. L'écriture a été inventée environ quatre mille ans avant la naissance de Jésus Christ. Pour rappel, cet homme, dont on ignore s'il a réellement existé, était une figure importante de l'une des plus importantes religions monothéistes, et sa naissance marquait le début du calendrier grégorien, le calendrier le plus communément utilisé avant, sur Terre.
Cette période de quatre mille ans entre la naissance de l'écriture et la naissance supposée de Jésus Christ s'appelle l'Antiquité. Ensuite trois mille deux cent vingt-quatre ans se sont écoulés avant l'Exode vers Mars.
Cette année nous nous intéresserons donc à la période de l'Antiquité. L'année prochaine sera dédiée à la période terrienne qui a suivi.
Vous avez pris des notes j'espère. »
Quelques élèves sortirent de leur torpeur pour taper quelques lettres sur leurs tablettes scolaires, sans enthousiasme. Je les comprenais mais mes parents m'avaient mentalement programmée pour suivre en cours - à coups de "je veux que tu sois première de la classe" et "tu vas à l'école pour travailler, pas pour autre chose".
Au fait c'est vrai que je ne me suis pas présentée. Je suis Elessa Leocairn. Âgée de dix-sept ans, je venais, comme tous les autres élèves de secondaire, de faire ma rentrée deux jours plus tôt. Et nous assistions à notre premier cours d'Histoire de l'année, dispensé par Mr Jeim.
Cela faisait une demi-heure notre professeur nous bassinait avec son introduction sur l'Antiquité quand les CMV se mirent tous à vibrer. Aussitôt les trois quarts de la classe accrochèrent les petites plaques métalliques de quatre centimètres carrés sur leurs tempes. Personnellement, étant un peu parano, je ne me connectais jamais directement au CMV. A la place je le collais sur ma tablette. Un message officiel du gouvernement apparut.
Zenam Applegram - aucun commentaire sur ce nom - le président du Sénat siégeait sur un fauteuil bleu :
« Chers citoyens de Mars. J'ai une terrible nouvelle à vous annoncer. Notre vénérée dix-neuvième Reine est décédée. Le reste de la journée sera donc libéré de toutes activités afin que vous puissiez vous recueillir à la mémoire de notre défunte souveraine. Seuls ceux chargés d'organiser les élections dans les jours à venir devront travailler aujourd'hui.
Puisse l'esprit de notre dix-neuvième Reine Imneï rejoindre celle de la Reine Bénite, notre Gardienne. »
Quand j'eus fini de visionner la tête. Certaines personnes visionnaient encore l'annonce. Les autres en discutaient, via leur CMV, ou entre eux, certains assez excités, d'autres en pleurant.
Je me voyais mal pleurer pour une Reine que je n'avais pas connue personnellement. Néanmoins j'avais assez de respect pour une femme qui avait renoncé à la possibilité de fonder une famille, et ce à l'âge de quinze ans, pour accepter la charge de Reine - quand bien même je me verrais très mal faire pareil. Car c'était la Reine qui assurait l'équilibre au sein de l'Etat. Elle était élue jeune et vierge afin qu'elle ait un cœur pur - parce que tout le monde sait que les filles dépucelées sont des personnes vraiment horribles - quand elle devenait Reine. Ainsi avec une personne pleine de bonté au sommet de la hiérarchie, le peuple était assuré que le gouvernement veillerait toujours au bien du peuple plutôt qu'à acquérir du pouvoir. Elle restait alors Reine jusqu'à la fin de ses jours. On distinguait rarement les Reines les unes des autres, mais au contraire on considérait qu'elles étaient en quelque sorte les incarnations de la première Reine, la femme qui mena les hommes sur Mars. Elle avait été en quelque sorte divinisée et on la nommait la Reine Bénite. D'ailleurs elle était vénérée dans plusieurs temples.
Mais moi et les temples, c’était pas trop ça.
Puisque les cours étaient annulés, je sortis de la salle pour rejoindre ma meilleure amie, Mari, qui n’était pas dans ma classe. Nous nous croisâmes dans le couloir.
« Hey Lessa, t'as vu l'annonce toi aussi ? me demanda-t-elle.
- Je crois que tout le monde l'a vue, ils ont arrêté les brouilleurs pour ça.
- C'est triste, la Reine Imneï était une bonne reine.
- En même temps on n'en a pas connu d'autre.
- Chut, j'essaie de dire un truc sympa de circonstances, fit-elle en me donnant un coup de coude.
- Ok, ok, bon c'est quoi le plan pour cette aprèm alors ?
- T'es pas au courant ? m'interrogea-t-elle.
- Au courant de ?
- Et bien toutes les filles de 15 à 20 ans inscrites ici doivent se rendre dans le grand amphithéâtre, notre prof de maths nous l'a dit.
- Ça devait être trop récent dans l'Histoire pour que notre prof juge bon de nous le faire savoir. Et c'est pourquoi cette réunion d'ailleurs ?
- Pour nous expliquer comment aura lieu le tirage au sort, les modalités de participation et tout ça.
- Ah bah ça tombe bien. »
Mari me jeta un regard incertain.
« J'ai justement pas envie de faire partie du tirage au sort.
- C'est toi qui propose de sécher un truc ?! s'exclama mon amie.
- C'est pas un cours.
- Oh allez viens, ce tirage au sort, ça n'arrive qu'une fois dans la vie, et puis quelles sont tes chances d'être choisie ?
- Tu sais dans les romans quand ils disent ça ..., commençai-je.
- On n'est pas dans un roman ! Allez viens, m'encouragea-t-elle en tirant sur mon bras.
- Ok je te suis. »
Presque une heure plus tard, l'amphithéâtre était rempli de jeunes filles surexcitées. Super, des centaines d'usines à œstrogènes réunies dans un même endroit. Les professeurs présents tentaient difficilement d'avoir le calme. Finalement le directeur de l'établissement parvint à obtenir le silence.
« Mesdemoiselles. Comme vous le savez sûrement notre vénérée Reine nous a quittés. Il nous faut donc choisir une remplaçante. Cela peut paraître très pragmatique mais c'est malheureusement nécessaire. Comme je ne sais pas si vous savez toutes comment se déroule l'élection d'une Reine, je vais vous en expliquer les étapes.
Avant tout il faut mettre au point les listes de candidates. Pour cela, bien que cela puisse paraître un peu, disons, démodé pour certaines d'entre vous, il faut que vous passiez un examen médical pour, hum, s'assurer de vos vertus. Bien entendu si vous ne voulez pas le passer, parce que vous savez déjà que vous ne pouvez pas être candidate ou pour toute autre raison, libre à vous, mais vous ne serez pas inscrite pour le tirage au sort.
En effet après avoir mis au point ces listes, plusieurs centaines de milliers de tirages au sort sont organisés simultanément dans la planète, un dans tous les établissements scolaires et quelques autres pour les candidates qui ne sont plus scolarisées. Après cette première série de tirage au sort, d'après les estimations, il devrait quelques trois cents milles candidates environ. Seront alors organisées d'autres séries de tirages au sort, réunissant des candidates que le hasard aura choisies venant de zones géographiques de plus en plus élargies, jusqu'à n'avoir que quinze candidates qui pourront alors être élues par le peuple.
Mais je ne pense pas que pour l'instant vous ayez besoin d'en savoir plus. Dans l'immédiat nous avons mis au point un planning de passage auprès du service médical de l'établissement afin de pouvoir vous faire passer le test nécessaire. Vous avez reçu ou allez recevoir un message via vos CMV vous communiquant votre heure de consultation. Si vous ne voulez pas participer, veuillez nous le faire savoir au plus vite je vous prie.
Sur ce, je vous souhaite une bonne fin de journée. »
Dès qu'il eut fini son discours, Mari posa son connecteur sur le côté de sa tête. Je détestais la voir faire ça, même si je savais que c'était plus pratique que de le brancher à sa tablette, comme je le faisais.
« Oh c'est pas drôle j'ai rendez-vous que lundi prochain, fit-elle.
- Ah parce que tu comptes y aller ?!
- Bah oui pas toi ?
- Heu laisser des gens que je connais pas regarder ce que cache ma petite culotte. Il y a genre juste PAS MO-YEN, dis-je rageusement.
- Tu sais le jour où tu devras aller chez le gynéco, faudra bien que tu acceptes de le faire.
- Peut-être bien mais ... J'en sais rien mais c'est des situations différentes d'accord ? Dans le premier cas c'est pour participer à un tirage au sort auquel je ne tiens pas à participer, alors que dans le deuxième cas j'aurais choisi d'y aller pour mon bien-être personnel, ok ?
- Tu tiens vraiment pas à y participer hein ? Malheureusement j'ai une très mauvaise nouvelle pour toi. Je sais que tu te préoccupes peu de ta vie sociale, mais heureusement je suis là pour ça, répliqua-t-elle.
- Et ? demandai-je méfiante.
- Devine ce que tout le monde va penser de toi si tu ne vas pas te faire examiner ?
- Je m'en fous de ce que pensent les autres de moi, répondis-je avec bravade.
- Sauf que le dernier garçon avec qui t'es sortie ... »
Mari ne finit pas sa phrase mais elle n'en n'eut pas besoin. Zechia, mon ex petit copain, avait pour habitude, je l'avais découvert plus tard, de sortir avec plusieurs filles en même temps. Je m'étais aussi vengée à ma façon de cette humiliation. J'avais contaminé une des boissons énergisantes qu'il aimait boire. Disons que depuis il avait été forcé de prendre des douches beaucoup plus souvent et régulièrement. Mais peu importait, il était hors de question que je laisse tout le monde croire que j'avais perdu ma virginité avec un tel abruti - et je suis polie.
Je me retrouvais obligée d’aller à ce fichu rendez-vous, seulement deux jours plus tard.