Quand je l'ai vue pour la première fois, j'ai pensé que ses désirs étaient partis pour un sommeil de cent ans.
Je lui ai demandé pourquoi elle avait l'air si triste, elle a répondu :
- C'est à cause des roses.
Je n'ai pas compris pourquoi les roses la rendaient si triste. J'ai exprimé mon désir d'avoir davantage de précisions sur sa mélancolie. Elle a baillé avant d'expliquer :
- Les roses sont roses. N'est-ce pas tout à fait déprimant ?
Elle était tellement belle à ce moment là... J'ai eu envie de l'embrasser, mais je me suis rapidement rendu compte qu'elle était enfermée dans un cercueil d’écœurement.
- Quand je vois ces roses, je ne remarque que leurs épines. Il y a des épines tout autour de mon château. Je sais qu'un jour je me piquerai le doigt sur une de ces épines. Je le sais.
J'aurais voulu écarter cette idée si triste. J'aurais voulu pouvoir soulever le couvercle de son ciel de verre. J'aurais voulu lui dire que la vie était un conte de fée, qu'il ne fallait pas céder au découragement. Mais je n'ai pas pu.
- C'est comme si tout le palais était endormi... C'est comme si tout était déjà mort... Je suis entourée par tous mes gens, certes, mais je ne me suis jamais sentie aussi seule. J'ai l'impression d'avoir quitté mon corps, d'être à côté de tout.
J'ai senti ma main se soulever pour caresser son visage sans même y avoir songé. Elle a frissonné à ce contact, mais elle ne m'a pas repoussé :
- Quand il pleut, j'ai l'impression que c'est le monde entier qui pleure, qu'il n'y a pas moyen d'échapper à cette grisaille. Je mets des rubans dans mes cheveux, mais c'est comme décorer une tombe avec des fleurs : ça n'égaye pas davantage.
J'ai laissé mes doigts se promener le long de sa joue, de ses lèvres, de son nez. Je ne l'écoutais presque plus, fasciné que j'étais par la beauté de ma princesse.
- Je crois que l'on m'a jeté un sort... Je ne m'explique pas d'où vient cette état de tristesse. J'ai pourtant tout pour être heureuse... Mais comment guérir d'un mal dont on ne connaît pas la nature ?
Je l'ai regardée droit dans les yeux cette fois. Elle a eu un pâle sourire et a soupiré :
- Je suis bien pire que ces roses pour te faire tant de mal...
Et elle m'a embrassé.
Le lendemain matin, on a trouvé la princesse endormie pour toujours. J'ai pleuré longtemps mais personne n'a compris pourquoi. On disait que ce n'était pas ma faute, qu'elle était triste depuis bien trop longtemps. Mais au fond de moi je le sais bien : c'est à mon épine qu'elle s'est piquée.